Désaltérer les gosiers [LIBRE]

Saluant sa patronne, Aiko se dirigea dans le vestiaire du pub afin de s’y changer. Elle troqua son jeans délavé et son sweat noir, pour sa tenue de barmaid. Elle boutonna soigneusement sa chemise blanche, enfila son pantalon noir par-dessus et l’ajusta avec sa ceinture. Elle mit ensuite son gilet de costume noir également et termina par son nœud papillon et ses chaussures de la même couleur.

Se regardant dans le miroir, elle glissa des épingles à chignon pour maintenir les mèches qui lui cachaient parfois la vue. Elle replaça ensuite ses cheveux trop courts pour tenir un élastique et alla rejoindre la salle peu occupée pour le moment.
Ce soir était le grand soir. C’était vendredi, la soirée la plus chargée de la semaine. Pour la première fois, Aiko allait assurer son rôle de barmaid seule, sans sa supérieure pour l’épauler. Elle avait déjà assuré des services seule, mais c’était pendant la journée et il y avait rarement du monde.

Cette soirée allait conclure sa formation et lui permettre de gagner en autonomie. Rejoignant la propriétaire derrière le bar, elle lui adressa un sourire lorsque cette dernière termina la balance de la caisse. Elle lui demanda si elle allait bien et si elle n’était pas trop stressée pour la soirée. Aiko lui assura que non, qu’elle était prête et qu’elle ferait de son mieux pour assurer un bon service. Maxime lui indiqua qu’elle n’avait pas de soucis à se faire tant qu’elle travaillait aussi bien que d’habitude. Elle lui rappela cependant les tâches importantes à faire, comme faire la balance de la caisse, ranger la vaisselle et s’assurer que les invités de marque ne soient pas importunés de quelques manières que ce soit. Aiko lui assura que tout sera fait et que si un problème survenait, elle n’hésiterait pas à lui signaler sur le champ. De toute façon, avec l’aide de la videuse, elle voyait mal comment la soirée pourrait tourner au vinaigre.

Une fois sure que tout irait pour le mieux, la propriétaire sans alla laissant Aiko seule dans le bar. Il était encore tôt, si bien qu’elle commença par un peu de ménage et de rangement. En début de soirée la videuse arriva, salua Aiko et alla se préparer. Pendant ce temps, Aiko vérifia une dernière fois la caisse, fit l’inventaire rapide de ses stocks et accueillit chaleureusement le premier client habituel. Alors qu’il s’installait au comptoir et enlevait son manteau, Aiko lui servi sa bière sans même qui le lui demande. Il la remerciait et ils entamèrent une discussion sur la météo et les nouvelles de la ville.

Aiko accueillit son ancienne professeure avec professionnalisme. La première fois qu’elle avait vu une de ses anciennes profs, cela l’avait déstabilisé. Il lui avait fallu du temps pour s’adapter à ces nouvelles relations et à s’habituer aux questions indiscrètes. Revoir la professeur Lessandre l’inquiéta tout de même légèrement, de toutes les enseignantes qu’elle avait eues, c’était la plus terrible et surtout la moins protocolaire. Et kami-sama sait à quel point Aiko avait été une étudiante attachée au protocole.

Aiko écouta la demande de la blonde et s’exécuta avec automatisme, elle s’était bien adaptée à son nouveau travail et aimait l’aisance qu’elle avait acquise pour servir ses clients. Déposant le verre devant la prof de maths elle lui adressa un sourire amusé avant de lui répondre.

« La vie n’est pas toujours linéaire apparemment. »

C’est pourtant comme ça qu’Aiko voyait sa vie avant d’arriver à l’académie. Toute tracée, sans embuches et d’une grande monotonie. Mais elle avait eu son lot de rebondissements depuis et elle s’était maintenant faite à l’idée de ne plus rien avoir de stable. Cette perte de contrôle l’avait d’abord angoissée et il lui avait fallu de grands efforts pour surmonter cette angoisse et embrasser le chaos. Se laisser aller à son instinct et vivre un jour à la fois n’était pas si terrible finalement. Elle trouvait même que c’était plus sein pour sa santé mentale.

« Vous avez passé une bonne journée, Madame Lessandre ? »

Le bar n’était pas encore bien plein alors Aiko profita de ce calme pour discuter avec ses clients du comptoir. C’était ceux qu’elle préférait, car souvent elle avait davantage d’interaction avec eux qu’avec les clients en salle.

Aiko ne put s’empêcher de rire à la remarque de la blonde. Elle avait toujours eu un franc-parler, aucun filtre ne séparait ses lèvres de sa pensée. Nombreuses avait été les étudiantes à sortir du cours de maths en pleure. Même Aiko n’y allait pas de bon cœur, de peur de se retrouver être la cible des commentaires tranchants du professeur. Mais Aiko aimait les maths, alors elle réussissait à ne pas se faire trop remarquer.

D’ailleurs son cerveau s’alluma et elle pensa moins quatorze avant de se replonger dans son travail. Elle voyait bien que sa question n’enchantait pas la mathématicienne. Il fallait qu’elle soit plus originale si elle ne voulait pas la faire fuir. En entendant la demande que lui faisait Isara, elle voyait une opportunité de changer de sujet.

« Je vais plutôt lui servir un double whisky, elle le préfère au cognac. »

Aiko connaissait la brune qui venait régulièrement s’asseoir seul dans un coin, elle semblait toujours attendre quelqu’un. Ce soir elle comprit, elle attendait quelqu’un pouvant la distraire et mademoiselle Lessandre semblait l’avoir compris immédiatement. La Barmaid alla servir le verre à la brune.

« C’est de la part de la jeune femme assise au bar. »

Elle accorda un sourire à sa cliente qui semblait ravie et posa immédiatement ses yeux sur la blonde en levant son verre. Aiko retourna derrière son bar amusé, mais aussi impressionné de cet échange si rapide et semblant si simple. Elle se rendit compte qu’elle n’avait jamais vraiment flirté avec qui que ce soit. Pas même avec Sleïlo, ou alors elle ne s’en était pas rendu compte, tout avait été naturel.
Posant les coudes sur son comptoir, elle regarda la brune avant de poser ses yeux sur la blonde face à elle.

« Je dois avouer que j’admire votre aisance. Est-ce que c’est inné chez vous ? »

Sa question était certainement rhétorique. La professeure dégageait une incroyable confiance en elle et, il fallait l’avouer, elle avait un physique des plus avantageux. Elle avait dû rarement essuyer des refus dans sa vie. En tout cas, cela semblait inconcevable dans l’esprit d’Aiko que qui que ce soit ose s’opposer à la volonté de Isara Lessandre. Que ce soit par peur que par fascination d’ailleurs.