Entre Noël en Allemagne et Retrouvailles au Japon [Aiko]

360. C’était le nombre de tours de pistes qu’elle avait couru depuis le départ de l’Allemande pour son pays natal. C’était le nombre de fois qu’elle avait essayé de se vider l’esprit et d’apaiser ses tracas. Essayé de se sortir de la tête, la scène qui y virait en boucle.

Elle ne s’était pas attendue à ce baiser qui l’avait prise par surprise. Si bien, qu’elle en était restée figée. Elle n’avait pas repoussé la cavalière, mais n’avait pas non plus répondu à ce geste soudain et intime. Si bien qu’un léger malaise avait plané après coup. Elles n’en avaient pas reparlé, et Aiko avait d’abord pensé que c’était une bonne chose que Sara quitte le pays juste après cet évènement. Cela lui avait permis de tirer au clair ses propres pensées.

Évidemment, elle était directement allée chez Kiralee et Yuki pour demander conseil. Encore une fois, sa meilleure amie lui avait permis de se ressaisir, elle qui était à la limite de la crise de panique. Elle ne comprenait pas pourquoi tout son être agissait ainsi. Comme si une alarme se mettait à sonner dans sa tête et que chaque molécule se mettait à paniquer. Et pourtant, elle travaillait là-dessus ! Elle n’aimait pas être déstabilisée, mais la cavalière avait le don de la mettre dans tous ses états.

Ce serait mentir que de dire qu’elle n’avait jamais envisagé le fait de lier ses lèvres à celles de la cavalière. Cette idée lui avait ponctuellement traversé l’esprit. Elle n’avait cependant jamais succombé à la pulsion, parce qu’elle écoutait plus souvent sa tête que son cœur. Chose que Kiralee lui reprochait d’ailleurs. Et l’Américaine avait émis un point qu’Aiko ne pouvait pas ignorer, il n’y avait qu’une façon de voir comment ça allait se passer et c’était de plonger tête la première. Elle avait beau imaginer mille scénarios, si elle ne tentait rien, elle ne vivrait rien.

Pendant l’absence de l’Allemande, elle s’était concentrée sur ses entraînements. Elle se préparait pour une compétition régionale qui aurait lieu bientôt. Cela lui avait permis de ne pas trop s’embourber dans ses pensées et surtout, de ne pas s’angoisser à l’idée du retour de sa camarade et du « après ».
Elle gardait en tête les conseils reçus, en eut également de Riley et Natsuki, qui l’avait interrogé en la voyant plus tête en l’air sur leur chantier. Riley lui avait conseillé d’utiliser le langage des fleurs, Natsuki, celui de la bouffe. Aiko suivit le conseil de celle qui lui semblait le mieux placée, mais garda en tête celui de sa sœur.

Ainsi, c’est avec ses mains moites tenant un bouquet d’un savant mélange de Bleuets, Gardenia blanc, Hellébore rose, Lys blanc et Rose rose, qu’Aiko attendait l’arrivée de Sara à l’aéroport. Son cœur battait à mille à l’heure et elle crut qu’elle s’évanouirait avant l’arrivée de la cavalière.

Quand elle repéra la couleur atypique de ses cheveux dans la foule, la Japonaise se sentit rougir, son cœur accélérant davantage la cadence, jusqu’à battre dans ses tempes. Elle déglutit difficilement et c’est la bouche sèche qu’elle peina à articuler ce simple mot :

« Salut … »

Elle se mit une gifle intérieurement, ne comprenant pas comment elle pouvait être aussi nerveuse. Elle tendit maladroitement le bouquet à l’Allemande. En lui adressant un sourire timide. Elle préféra ne rien ajouter, ne souhaitant pas mettre davantage les pieds dans le plat.

Aiko passa une main nerveuse sur sa nuque. Elle savait que ce moment allait être malaisant. Elle en avait longuement parlé avec ses amies. Elle savait aussi qu’il ne fallait pas qu’elle se dégonfle maintenant. Elle savait ce qu’elle voulait. Et elle ne voulait plus vivre dans le doute et le déni. Elle prit une inspiration pour reprendre ses esprits.

Fidèle à elle-même, bien que semblant elle aussi nerveuse, Sara alla droit au but et lança le sujet qui les avait toutes deux hantées. Aiko sentit de la peine de voir la cavalière si troublée. Elle était à l’origine de ses inquiétudes, parce qu’elle n’avait rien dit et rien fait. Aiko sentit une pointe de culpabilité l’assaillir, mais elle l’ignora. Ce n’était pas le moment de se laisser aller à ses doutes. Elle plongea son regard d’ébène dans celui de l’Allemande et lui offrit un sourire attendri, qui se voulait rassurant.

« Non ne t’excuse pas… J’aurais dû dire quelque chose. Je m’excuse si je t’ai inquiétée... c’est juste que je ne m’y attendais pas… Tu m’as déstabilisée… »

Son visage était très certainement rouge pivoine. Elle n’avait pas vraiment l’habitude d’exprimer ses sentiments à voix haute. Encore moins devant la personne concernée par le tourbillon d’émotions qu’elle ressentait.

« Mais c’est bien parfois d’être déstabilisée… »

Et voilà, elle perdait le fil. Elle avait cette impression que plus elle voulait clarifier les choses, moins elle était claire.

Les taquineries de Sara eurent pour effet de faire rougir davantage Aiko, mais également de la détendre. La tension dans ses épaules se relâcha et son sourire se fit plus rayonnant. Elle aimait cette facette de l’Allemande. Son côté taquin avait tendance à l’amuser malgré tout. Et la voir ainsi rassurait la Japonaise. L’atmosphère se fit plus légère.

« Je pense que j’aime mieux que tu agisses de façon spontanée. J’essayerais d’être plus alerte la prochaine fois. »

Oui parce qu’Aiko espérait sincèrement qu’il y aurait une prochaine fois. Elle ne se le pardonnerait pas d’être resté de marbre face au seul baiser que lui aurait donné la cavalière. Il fallait qu’elle s’assume davantage si elle voulait profiter pleinement de ce lien qu’elle partageait avec sa camarade.
Camarade qui manqua encore une fois de lui faire frôler l’arrêt cardiaque. Son visage devint encore plus rouge, enfin si cela était possible. Elle sentait ses oreilles chauffer alors que bouscula gentiment Sara avec son épaule.

« C’est ça moque toi, mais tu feras moins la maligne quand ce sera à ton tour d’être déstabilisée. »

L’athlète plongea son regard faussement provocateur dans les orbes dorés de la cavalière. Son cœur commençait à ralentir sa course et elle offrit son bras à Sara, afin de l’accompagner à la sortie de l’aéroport. Elle n’avait pas vraiment l’intention de faire l’étalage de ses sentiments devant les voyageurs qui allaient et venaient dans le hall. Elle avait aussi besoin de prendre l’air et de se changer un peu les idées avant de reprendre cette conversation.

« Re bienvenue au Japon Adana_chan. As-tu passé un bon temps des fêtes ? »

« On verra ça. »

Elle n’en ajouta pas plus, parce qu’elle n’était même pas certaine d’assumer à cent pour cent ce défi. Elle essayait de montrer de l’assurance pour ne pas perdre ses moyens, mais intérieurement elle ne jouait pas la fière. Elle devait lutter pour que ses joues ne virent pas encore aux cramoisies, alors qu’elle croisait le regard espiègle de la cavalière. Cette fille aura sa peau.

« Ça ne doit pas être facile pour tes parents de te savoir aussi loin. J’espère que tu en as bien profité. As-tu eu le temps de voir tes amis aussi ? »

Aiko se demandait parfois si ses propres parents regrettaient leur geste et s’ennuyaient de leurs filles. Ils n’avaient en tout cas rien fait qui pourrait le prouver. Étrangement, cela ne lui faisait même plus de peine. Elle avait réussi à faire la paix avec son passé et n’avait quasiment aucun regret. Elle avait essayé d’avoir des nouvelles de sa petite sœur, sans succès. Elle espérait sincèrement pouvoir réparer leur lien un jour.

« Je suis contente de voir que ton avis sur le Japon a changé et que tu es plus heureuse à présent. »

Son expression était remplie de douceur et d’affection. La première fois qu’elles s’étaient rencontrées, Sara avait confié à Aiko sa nostalgie de son pays natal et le fait qu’elle n’appréciait pas réellement sa vie que Japon. Elle n’avait pas pu bénéficier d’un accueil digne de ce nom et avait été en conflit avec ses camarades de classe. Aiko s’était alors donné pour mission de changer la donne et de faire en sorte que Sara se sente mieux. Elle était heureuse d’entendre que c’était le cas.

« J’ai passé le réveillon de Noël avec Natsuki et Nina. J’ai travaillé et je me suis entraînée le reste du temps. J’ai passé du temps avec Kiralee, Yuki et Riley aussi entre les fêtes. On a aidé Riley à récupérer les affaires de Keiko entre autres. Rien de bien palpitant en sommes, mais c’était agréable. »

Elle éluda le fait qu’elle avait passé une soirée sur le canapé de Kira et Yuki à leur partager ses craintes concernant Sara. Elle ne parla pas non plus du fait que c’était en réalité Riley qui lui avait conseillé les fleurs. Elle était bien trop gênée.

« La maison n’est pas encore prête pour qu’on puisse fêter dedans, surtout pas l’hiver. Peut-être que nous pourrons l’année prochaine. »

Dehors la température était fraîche et Aiko s’était habillé en conséquence. Elles devaient attendre le bus qui les ramènerait à l’académie et ne souhaitait pas tomber malade. Elle était rassurée de constater que Sara était elle aussi vêtue chaudement.

« Le prochain bus passe dans 10 minutes, tu préfères qu’on appelle un taxi pour rentrer plus tôt ? »

Kiralee et Riley n’avaient pas pu lui prêter une voiture aujourd’hui. Aiko ne voulait pas non plus trop profiter de leur gentillesse. Elle mettait de l’argent de côté pour essayer de s’en payer une.

« Je suis contente de savoir que tu as des parents qui te soutiennent. Est-ce que tu penses qu’ils pourraient venir te voir ici ? Ils pourraient ainsi voir où et comment tu vis. »

Chose qu’Aiko aurait aimé partager avec ses propres parents. Peut-être un jour, si ces derniers finissent par retrouver la raison.

« Est-ce que tes amis font aussi de l’équitation ? »

Elles n’avaient que rarement évoqué la vie de Sara en Allemagne, juste partagé quelques anecdotes au cours de leur échange durant leur partage de langue maternelle. Elle se dit que c’était une bonne occasion pour en apprendre davantage.

« Oui, ça m’a fait du bien de lever le pied. »

Une manière de dire qu’elle avait été moins hyperactive qu’à son habitude, parce qu’elle avait tout de même passé son temps à courir et travailler. Elle avait pu tout de même passer du temps avec ses amies et sa sœur, ce qui lui avait fait le plus grand bien.

En entendant l’interrogation de l’Allemande, Aiko ne put s’empêcher de la rassurer et plongea son regard dans le sien, un sourire légèrement amusé sur les lèvres.

« Évidemment que non Adana-chan, j’avais hâte de te revoir et de passer du temps avec toi. Tu m’as manqué, tu sais. »

Et elle ne pouvait être plus sincère, elle avait passé son temps à penser à la cavalière et à parler d’elle. Elle avait craint d’ailleurs de saouler ses amies, mais même quand elle n’en parlait pas, elles avaient ramené le sujet sur la table.

Elle entrelaça ses doigts avec ceux qui venaient de se glisser dans sa main. Elle sentit un frisson parcourir son corps ainsi qu’une agréable chaleur. Elle priait pour que sa main ne devienne pas trop moite. Elle sentit de nouveau le rouge lui monter aux joues alors que Sara l’informait de la discussion qu’elle avait eue avec ses parents. Elle leur avait parlé d’elle ? Aiko en était aussi stressée que touchée.  Sara avait un courage qu’elle était loin d’avoir.

« Et qu’est ce que tu leur as dit exactement ? »

Elle espérait que sa curiosité n’était pas mal placée, mais elle avait besoin de savoir, de s’assurer qu’il n’y ait pas de quiproquo.

« En parlant de chevaux, sache que Princesse, enfin je veux dire Fantaisie, va très bien et j’espère que tu seras fière d’apprendre que j’ai veillé personnellement à son bien-être. Bon, avec beaucoup d’aide de ma sœur et de Kira, mais, j’ai réussi à entrer dans son box un bon deux minutes, et j’ai accompagné les filles chaque fois qu’elles y sont allées même si, je l’avoue, je suis souvent restée en retrait. Natsuki la surnommée Princesse, d'où le lapsus. »

Et ce n’était pas une mince affaire, elle avait tout le temps une boule au ventre en s’y rendant. Mais elle arrivait à prendre le dessus, elle avait même caressé une fois la jument.

La Japonaise eut un sourire attendri en entendant le commentaire de Sara. Elle sentit ses joues s’empourprer encore légèrement.

« Je n’ai jamais quitté le Japon tu sais, je ne sais pas ce que ça fait de vivre à des milliers de kilomètres de chez moi. J’imagine que ce ne doit pas toujours être facile pour toi, alors oui, j’imagine que c’est normal que je me préoccupe de ton bien être. »

Elle se doutait que ce ne devait pas être facile d’être loin de sa famille et de ses connaissances. Partir vivre à l’étranger, dans un pays qui n’avait ni les mêmes coutumes ni la même langue, ça demandait beaucoup de courage.

« Ich hoffe auch, sie eines Tages zu treffen. (J’espère aussi les rencontrer un jour). »

Elle partagea un sourire complice, exerçant une légère pression sur les doigts de l’Allemande. Elle était un peu surprise de sa révélation. Aiko ignorait que même en Allemagne, Sara ne partageait pas vraiment sa passion avec des amis.

« Je supposais que tu devais avoir des amis au centre équestre. Tu n’as personne avec qui partager ta passion ? »

À bien y réfléchir, personne dans son entourage n’était passionné par l’athlétisme. Elle avait pu partager certains entraînements avec Leela, ou Kiralee, lorsqu’elle vivait à la villa. Elle avait aussi déjà accompagné sa sœur. Mais, il était vrai que même si elle s’entendait bien avec es coéquipières, elles restaient davantage des connaissances que de véritables amies.

« Oh ce n’est rien, la mienne doit l’être tout autant. Je suppose que ça va nous prendre un peu de temps, pour nous habituer à tout ça. »

En tout cas, c’est ce qu’elle pensait pour elle. Mais elle se sentait déjà plus détendue. C’était agréable de ressentir à nouveau une connexion aussi intime avec quelqu’un. Même si elle restait un peu inquiète quant à l’avenir, elle appréciait grandement le présent. Elle faisait confiance à Sara.

Le bus arriva et Aiko lâcha un instant la main de la cavalière, le temps de prendre ses bagages et d’embarquer. Elle alla ensuite la rejoindre sur le siège à côté du sien. Une fois bien installée elle reprit leur discussion.

« Je ne pouvais pas la laisser sans m’assurer qu’elle allait bien. C’est ta jument après tout, je ne me serais pas pardonné s’il lui était arrivé quelque chose pendant ton absence. »

Même si l’équidé lui foutait la trouille, elle restait un être vivant. Et surtout, elle faisait partie de l’univers de la cavalière. Aiko avait préféré s’assurer que tout aille bien, plutôt que de la confier à des inconnues. Kiralee et Natsuki l’avaient également grandement aidé à accomplir cette mission.

« Ma sœur aime tous les animaux, elle a toujours eu un don avec, quel que soit leur espèce. »

Aiko sortit un vieux MP3 de sa poche, elle devait sûrement être la dernière du coin à utiliser un tel engin. Elle déroula ses écouteurs, en tendit un à Sara et glissa le deuxième dans son oreille. Elle lança la musique et ajusta le son avant de glisser ses doigts entre les mains de la cavalière, et de se blottir contre elle. Le trajet en bus allait durer une vingtaine de minutes, elle s’était dit qu’elle pourrait en profiter pour partager un peu leur bulle.

« Est-ce qu’il y a quelque chose en particulier que tu aimerais manger ou faire en arrivant à destination ? »

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