Vous les femmes...vous le charme...[PV Aiko]

Aiko eut à peine le temps de poser le verre de son client sur le comptoir qu’une masse vint s’étaler sur ce dernier et la fit sursauter. Heureusement, elle avait été assez agile pour ne pas renverser le verre qu’elle venait à peine de lâcher. Fronçant les sourcils elle allait réprimander cette cliente mal polie, mais reconnut celle qu’elle considérait comme sa meilleure amie. Elle lui pardonna alors immédiatement son manque de tenue, car elle savait pertinemment que cette fille manquait parfois cruellement de classe.

À la demande, ou plutôt à l’ordre de son amie, Aiko sortit un verre qu’elle remplit de vodka. Ce n’était pas l’alcool le plus fort qu’elle avait, mais elle n’était pas sûre que Kiralee réussirait à absorber de l’absinthe. Elle n’était pas sûre pour la vodka non plus d’ailleurs alors elle se contenta de remplir le verre à moitié. Elle le garda un instant dans sa main, écoutant ce que lui disait la danseuse.

« Bonsoir Kiralee, oui je vais bien et toi ? Moi aussi je suis contente de te voir ! Que t’arrive-t-il ? Tu t’es regardé trop longtemps dans le miroir ? »

Elle était vache, mais c’est comme ça qu’elles s’appréciaient. Elle n’était pas là pour faire des minauderies ou s’acheter des colliers assortis pour montrer au monde entier qu’elles étaient BFF. Non, elles s’étaient détestées dès le premier jour et avaient appris à se respecter un minimum, car elles savaient qu’elles seules se disaient les vraies choses. Que ça plaise ou non. Toutefois, Aiko qui s’attendait à e que l’Américaine se lamente sur son sort fut surprise d’entendre sa remarque. Depuis quand était-elle « irrésistible » ?

Elle eut rapidement la réponse à sa question à la suite des paroles de Kiralee. Aiko resta un moment en état de choc, elle ne s’attendait vraiment pas à ça.

« Attends ! Quoi ? »

Fut les seuls mots qui sortir de sa bouche alors qu’elle se demandait à qu’elle point il fallait être dérage pour se battre pour Kiralee. Elle ne comprenait vraiment pas pourquoi elle avait tant de succès. Mais peut-être avait-elle un brin de jalousie, car Kiralee excellait en relation alors qu’elle-même était nulle à chier. Enfin exceller est un bien grand mot, en tout cas ça roulait pour elle, même si elle ne semblait pas faire grand-chose pour provoquer sa chance.

La remarque de la danseuse concernant son verre agaça Aiko qui le posa bruyamment devant son nez. Franchement, elle pouvait faire un effort, elle n’était pas sa servante. Enfin un peu, mais bon, elle pouvait être polie au moins !

« Tiens ! Cadeau de la maison! Sois plus sympa par contre, sinon la soirée va être longue. Je ne vois pas pourquoi tu es dans un tel état madame bourreau des cœurs. N’empêche, j’aurais payé cher pour te voir te décomposer face à Yuki ! Mais attends… Yuki t’a fait une déclaration ?! Je ne la connais pas tellement, mais je ne m’attendais pas à ça d’elle. Et c’est toi qui étais gênée ? Le monde à l’envers ! »

Cette fois la barmaid ne put s’empêcher de rire. Elle aurait vraiment aimé voir ça. Aiko reprit néanmoins son sérieux en voyant l’état de son amie. Elle semblait vraiment perdue. Se moquer ne l’aiderait pas même si c’était tentant. L’ancienne comédienne ferma une seconde les yeux en prenant une inspiration. Elle chercha un instant ses mots avant de continuer.

« Je comprends que tu sois perdu, ça ne doit pas être facile comme situation. Mais, est-ce que tu sais ce que tu veux ? Que ressens-tu pour Karen ? Et Ruby ? D’ailleurs, je ne t’ai jamais posé la question, mais à la villa parfois vous avez l’air vraiment… proche. Est-ce qu’il s’est passé quelque chose entre vous ? Est-ce que Karen et Yuki le savent ? D’ailleurs, elle t’a dit quoi exactement Yuki ? »

C’était beaucoup de question, mais il lui manquait du contenu pour avoir un avis objectif sur la situation. Il lui fallait des données pour pouvoir aider son amie convenablement.

Aiko écouta attentivement ce que lui disait la fille aux cheveux châtains. Plus elle parlait, plus les sourcils de la barmaid se fronçaient d’incompréhension. Quand son amie lui tendit son verre, elle soupira et le rempli à nouveau de moitié. Elle allait pour lui répondre, mais fut interrompue par un client qui vint prendre commande pour sa table.

« Je reviens. »

Sur ces simples mots à l’intention de la danseuse, elle vint écouter son client et prépara trois mojitos et un double whisky. Elle mit le tout sur un plateau et alla le porter à la table où l’attendaient quatre personnes. Elle déposa leur verre sur la table et leur fit payer leur consommation avant de retourner derrière son comptoir. Elle s’y accouda à nouveau pour finalement répondre à son amie :

« Alors, tes en train de me dire que ton ex-fiancée, Yuki, la fille réservée qui était toujours dans ton ombre, était en train de se battre avec une autre fille, qui avait des intentions louche pour elle et que tu es venu à sa rescousse et après elle t’a embrassé et fait une déclaration d’amour ? »

Elle savait qu’elle avait bien compris et qu’elle n’avait pas besoin de confirmation, mais elle n’en revenait juste pas. Cette histoire était beaucoup trop louche. Venant porter ses doigts à son menton, Aiko fit mine de réfléchir intensément avant d’ajouter :

« Tu es tombée dans un univers parallèle je ne vois pas d’autres explications. Un univers où les gens t’idolâtrent au lieu de te détester, ou Yuki est une ninja et Ruby un petit chaton sans défense. »

Qui a dit que Aiko était de bon conseil ? Elle ne comprenait pas pourquoi sa sœur et Kiralee venaient la consulter pour lui parler d’amour. Elle ne se sentait pas du tout légitime d’aider qui que ce soit à ce sujet, sachant qu’elle n’Arrivait pas à s’aider elle-même.

« C’est qui la blonde ? »

Aiko avait vraiment du mal à suivre Kiralee. En plus, elle s’attardait sur des détails qui la mêlaient davantage. La soirée allait être longue elle le sentait. Et elle qui souhaitait se reposer après son shift de soir, c’était manqué. L’Américaine enchaina sur ce qu’elle pensait de Karen. Aiko tiqua, elle n’avait jamais rencontré l’Anglaise et Kiralee lui en avait peu parlé. Ses aveux actuels confirmaient sa pensée, car gardait pour elle : Karen avait été un pansement pour oublier Yuki. Mais la danseuse y tenait vraiment aussi, il était donc logique qu’elle ne veuille pas lui briser le cœur.

« Si tu te forces à maintenir ta relation avec Karen pour ne pas lui faire du mal, c’est encore pire que si tu romps avec elle. Vous allez vous détruire et toi tu seras toujours paumé. Tu devrais avoir une sérieuse discussion avec elle concernant votre couple et voir où vous vous en allez avec ça. »

Kiralee continua en parlant cette fois de Ruby. Elle fronça à nouveau les sourcils et alla répliquer qu’elle ne répondait pas à sa question, mais la conversation prit une tournure à laquelle elle ne s’attendait pas. Kiralee parla de son passé, c’était la première fois qu’elle en faisait mention à Aiko. L’ex-comédienne se doutait que c’était louche, il fallait voir Ruby pour le comprendre ainsi que leur agissement violent avec Kiralee. Elle était pourtant loin de la réalité. Une boule se forma dans sa gorge et son premier réflexe fut de resservir un verre à son amie. Pour le coup, elle ne savait vraiment pas comment réagir. Elle se sentait incroyablement triste et aussi révoltée que ses deux Colocatrices aient pu vivre de telles atrocités. Malgré l’avarice de ses parents, Aiko avait toujours vécu dans un monde sain, sans violence.

La barmaid prit une grande inspiration et serra les poings pour retenir le flot d’émotion qui virevoltait en elle. Kiralee n’était pas là pour remuer le passé, mais pour trouver des solutions pour son avenir. Aiko était fière de la danseuse. Elle l’avait vu évoluer, se relever de chaque coup dur et se battre pour son bonheur. S’il y avait bien une personne qui méritait d’être heureuse, c’était bien elle. Aiko se promit alors de tout faire pour aider son amie à l’avenir.

Elle voyait bien que c’était difficile pour Kiralee de parler de ce sujet, elle vint alors lui prendre la main et la serra en douceur, venant lui faire un sourire.

« On n’est pas obligé d’entrer dans les détails ce soir. Merci, de me faire assez confiance pour m’en avoir parler. Tout ça est derrière toi maintenant Kira, tu as fait un long chemin pour t’en venir jusqu’ici et je ne parle pas seulement au niveau géographique. Tu as de quoi être fière de toi. Je commence à comprendre ce qu’elles te trouvent les filles de ton harem ! »

Elle accentua sa phrase d’un clin d’œil et lâcha la main de la fille aux yeux vairons. Aiko n’avait pas envie de commencer une conversation trop émotionnelle alors qu’elle se trouvait encore au travail.

« Mais tu n’as pas vraiment répondu à ma question. Je voulais savoir si Ruby et toi aviez couchés ensemble ? »

Elle était crue, mais avec Kiralee il le fallait, sinon le quiproquo venait rapidement. Puis Kiralee n’était pas vraiment une lumière non plus, donc le sous-entendu était à mettre de côté. Bon, il y avait aussi une part de curiosité chez Aiko qui la poussait à avoir cette information.

Aiko écouta le portrait que dressait Kiralee au sujet de la fameuse blonde. Un sourire en coin se dessinait sur son visage. Oui, elle se souvenait de la violoniste qu’elle avait croisée quelquefois dans les couloirs de l’académie. Elle avait rapidement fait parler d’elle dès son arrivée.

« À t’entendre, on dirait que tu es jalouse de Keiko. Il s’est passé un truc entre elle et Yuki ? »

Quand Kiralee parla de ce qu’elle allait faire par rapport à Karen, Aiko croisa les bras et hocha la tête de manière positive. Un problème de résolu, enfin, elle l’espérait. Elle non plus ça ne la tentait pas d’entendre Cindelle faire une crise. Cette petite était capable des décibels qu’aucun humain normal ne peut atteindre. Aiko se coltinait régulièrement un mal de crane affreux quand la jeune Elwist faisait des siennes.

Vint finalement le sujet qu’il l’intéressait le plus. Aiko s’approcha de nouveau en s’accoudant aux comptoirs pour écouter ce que Kiralee avait à confesser. Devant ses bafouillent, sa gêne et son embarras, Aiko ne put s’empêcher de rire. Mettez une femme sur le chemin de la terrible Kiralee et vous la transformerez en chaton inoffensif.  Aiko vint attraper une des joues de Kiralee et lui pinça doucement à la manière d’une grand-mère saluant ses petits-enfants.

« Que tu es adorable quand tu rougis ma petite Kira! »

Elle n’eut pas le temps d’ajouter quoique ce soit qu’une nouvelle personne vint lui quémander un verre. Elle capta le regard contrarié de son amie et la fixa avec une certaine sévérité.

« Ne fais pas d’esclandre ce soir s’il te plait. Je tiens à mon travail. Tiens, de quoi t’occuper le temps que je gère mes clients. »

Et comme par magie le verre de Kira fut à nouveau à moitié plein. Aiko alla s’occuper des nouveaux arrivants et débarrassa les tables désertées qu’elle nettoya avant de revenir voir la danseuse. Elle se passa une main sur le visage et tenta de structurer sa pensée avant de la partager.

« C’est normal que tu aies un attachement particulier avec Ruby. Elle est la seule personne de ton entourage à avoir connu et à comprendre ce que tu as vécu dans le passé. Ce lien que vous avez, tu ne pourras l’avoir avec personne d’autre. Mais il peut être à double tranchant, car justement il te retient lié à ton passé. Je sais que Ruby tient énormément à toi, elle est super protectrice, j’ai cru qu’elle allait m’assassiner plusieurs fois si j’osais trop m’approcher de toi. Mais il ne faut pas que ce lien devienne malsain. »

C’était assez complexe de conseiller Kiralee à ce sujet. Aiko savait qu’elle était loin de comprendre la subtilité et la complexité de sa relation avec Ruby. Les deux avaient vécu des traumatismes violents que personne dans leur entourage ne pouvait réellement comprendre. Il fallait cependant qu’elles se détachent de leur passé pour pouvoir s’épanouir complètement dans leur présent et avenir.

« Ce que je veux dire c’est que tu ne devrais pas avoir à te sentir mal d’aimer quelqu’un d’autre que Ruby. Si elle tient vraiment à toi, elle devrait être aussi capable de comprendre que votre relation n’ira jamais dans le sens qu’elle souhaite. Ou qu’elle pense souhaiter. Car si j’ai bien compris ce que tu m’as dit, vous ne vous connaissiez pas vraiment et étiez juste des sortes de rivales populaires dans votre… domaine. Donc il se peut très bien que ce qu’elle ressent pour toi soit biaisé par l’admiration et le respect qu’elle te portait comme « concurrente » ».

Aiko se mordit la joue, elle avait l’impression d’être ultra maladroite et à côté de la plaque. Après qui connaissait-elle en psychologie d’enfants maltraités forcés à être des bêtes violentes ?

« Excuse-moi, je me trouve maladroite. Sache qu’à aucun moment je n’oserais prétendre comprendre ce que vous avez vécu et ce que vous ressentez l’une pour l’autre par rapport à ça. Encore une fois, je pense que la mieux placée pour en parler c’est la personne concernée directement. Parle avec Ruby et essai de lui faire comprendre ce que tu ressens réellement. Je reste persuadée que si elle tient vraiment à toi elle comprendra, mais si ça risque d’être difficile pour elle à l’entendre. »

Aiko éclata de rire quand Kiralee lui fit part de la raison pour laquelle Ruby lui en voulait. C’était absolument ridicule. Pas étonnant que Kiralee soit dans l’embarras à l’idée de lui parler. Cette était beaucoup trop intense. Aiko pensa aux filles parfois possessives qui la suivaient partout autrefois, elle n’avait eu aucun mal à les rembarrer lorsqu’elle en avait eu assez qu’on épie le moindre de ses faits et gestes. Mais ces filles ne comptaient pas aux yeux de la Japonaise. Elle-même n’avait aucune idée de comment elle réagirait si une de ses relations mettait Natsuki en rogne. Et encore, cette comparaison était loin de la réalité de l’Américaine puisqu’il n’y avait aucune relation amoureuse entre elle et son ainée. Penser à ça lui donna la nausée, alors elle se recentra sur son amie.

« C’est sûr que ce ne doit pas être évident, mais je pars du principe que si une personne te brime dans ton bonheur et dans ta liberté et bien… ce n’est pas une relation seine pour toi. C’est dur à entendre, parce que je sais que tu tiens à Ruby. Si elle est vraiment ton amie, elle devrait t’encourager et te soutenir quoiqu’il arrive. »

Elle était peut-être dure dans ses propos, mais c’était la vérité. Aiko n’avait pas tant d’amis, à vrai dire elle n’avait probablement que Kiralee et sa sœur comme relation proche. Sleïlo aussi, mais c’était devenu compliqué. Quoiqu’il en soit, elle savait qu’elle pouvait se confier à chacune d’entre elles sans avoir à broder ou détourner la vérité. La preuve, quand elle avait appelé Kira à la rescousse, la danseuse avait rappliqué dans la seconde, alors que cela faisait six mois qu’Aiko l’ignorait. Pareil pour sa sœur, jamais elle n’avait agi de façon à réprimander Aiko pour ce qu’elle avait fait. Les deux lui avaient confié leur peine et mécontentement, mais avait tout de même supporté la Japonaise dans ses choix et surtout, elles avaient accepté ses excuses.

La barmaid remplit à nouveau le verre de son amie, mais cette fois d’eau. Elle avait assez ingéré d’alcool pour pouvoir l’emmerder jusqu’à la fin de son shift. Elle ne prit pas la peine de lui signaler ce changement, afin de voir si elle allait s’en rendre compte.

« Enfin bref, c’est à toi de voir ce que tu veux. Malheureusement personne ne peut agir et faire des choix à ta place. Parler avec Karen c’est une bonne première étape. Tu verras comment tu vois les choses après ça. Tu n’es pas non plus obligé de retomber dans les bras de Yuki. Oui tu l’aimes et vous avez vécu une belle histoire et maintenant elle veut revenir vers toi. Ça ne veut pas dire que tout redeviendra comme avant, au contraire. Si tu as envie de prendre du temps pour toi et rester seule pour faire le point ou expérimenter de nouvelle chose, tu as le droit aussi. Tu ne dois rien à personne ! »

Il ne servait à rien de se précipiter et de prendre de grande décision trop rapidement. Si ça foirait, il y avait de grande chance que Kiralee devienne un pilier de bar. Aiko n'était pas sur de vouloir voir sa meilleure amie déprimer et se lamenter tous les soirs sur son comptoir.

Aiko balaya la salle des yeux et remarques qu’elle n’avait plus de clients à part la danseuse. Cela ne l’inquiétait pas, elle avait rarement du monde un soir de semaine, seulement des travailleurs qui venaient prendre un verre entre collègues avant de rentrer chez eux. Elle reposa ses yeux sur son amie qu’elle avait attentivement écoutés tout en réfléchissant. Kiralee lui reprochait son départ comme le départ de Leela et Yuki. Pourtant, même si elle s’était retrouvée « seule » aucun de ces départs n’avait pour but de la fuir elle en particulier.

« Ce n’est pas ta faute tu sais, si on est parti. Notre raison principale n’était pas de t’abandonner. Parfois, il faut savoir se centrer sur soi-même et prendre des décisions qui ne peuvent pas plaire à tout le monde. OK, des trois personnes de ta vie qui sont parties c’est moi qui avais la moins bonne raison et qui ai fait n’importe quoi. Au moins j’ai appris et aujourd’hui, je suis ici, avec toi. »

Elle n’avait pas vraiment besoin de se justifier, Kiralee était au courant de toute la situation. Elle en avait toutefois marre de ne pas réussir à sortir sa tête de l’eau après tout ce temps. Elle faisait de grands efforts pour changer, s’améliorer et tenter de rattraper ses erreurs. Elle avait toutefois l’impression de faire du surplace depuis un an.

« Si Ruby est si importante pour toi alors tu devrais être honnête avec elle et tout faire pour maintenir votre amitié si jamais elle se braque. Je ne pense pas que lui cacher la vérité soit beaucoup plus agréable pour elle. Le jour ou elle va se rendre compte que tu n’as pas été 100% honnête avec elle, ça risque d’exploser. »

Et honnêtement Aiko espérait qu’elle serait bien loin de la blonde quand ça arriverait. Elle n’avait nullement envie de faire partie des dommages collatéraux. La remarque de Kiralee quant à son verre la rassura. Elle avait encore conscience de ce qu’il se passait.

« C’est important de t’hydrater quand tu bois. Tu me remercieras demain matin de t’avoir évité un mal de crâne épouvantable. Maintenant pour chaque verre d’alcool que tu prends, tu vas boire deux verres d’eau. »

Elle n’avait pas envie de ramener Kiralee sur son dos pour rentrer. L’Américaine n’avait sans doute pas pensé au fait qu’Aiko n’avait pas son permis de conduire pour pouvoir la ramener en voiture. Habituellement elle rentrait en courant jusqu’à la villa. Ses déplacements entre son travail et son lieu de vie lui permettaient de s’entrainer. Elle faisait souvent la route à vélo également.

« Je ne pense pas que Yuki va te réabandonner. Je ne la connais pas spécialement, mais penses-tu vraiment qu’elle serait revenue à l’académie et t’aurait fait une déclaration d’amour pour finalement repartir sans prévenir ? Pour avoir tenté l’expérience, je peux t’assurer qu’une fois suffit comme leçon. Jamais je ne repartirais sans donner de nouvelles à personne et je ne pense pas que Yuki ait envie de recommencer. D’ailleurs, c’était quoi sa raison de ne pas t’avoir parlé une seule fois pendant tout le temps où elle était en France ? »

Aiko se servit également un verre d’eau et en bu deux gorgées avant de le poser sur le comptoir. Kiralee réouvrit la bouche et le cœur d’Aiko manqua un battement. Elle savait que la conversation allait finir par prendre ce tournant. Cela la décourageait, parce qu’elle n’avait strictement rien à dire. Elle n’avait pas envie de s’étaler sur le seul sujet qui la rendait vulnérable.

« Alors déjà, c’est toi qui as débarqué pour me parler et me demander conseil, à aucun moment je n’ai prétendu être la bonne personne pour t’aider. Ensuite non, je n’ai pas goûté à… d’autres fruits, cette expression est vraiment bizarre. Je n’en ai pas envie d’expérimenter, d’aller voir ailleurs. Pourtant ce ne sont pas les occasions qui ont manqué sans vouloir me vanter. Personne ne m’intéresse, surtout pas en ce moment, alors je ne me fais pas de faux espoir, je prends les choses comme elles viennent et c’est tout. »

Elle espérait que Kiralee allait comprendre qu’elle n’avait pas envie de parler de l’Australienne. Sa dernière rencontre avec elle la chamboulait encore. Elle n’en avait parlé à personne, pas même à sa sœur.

Aiko regarda Kiralee alors qu’elle se décida finalement sur la marche à suivre. Aiko se dit qu’elle avait déjà la solution dans sa tête avant même de venir lui parler. Il lui suffisait maintenant d’assumer son choix.

« Si tu l’aimes et qu’elle t’aime, je ne vois pas où est le problème. Tu devrais en profiter ! Ça se peut que sa foire, mais tu ne le seras jamais tant que tu n’auras pas essayé. Si tu laisses l’occasion t’échapper, tu vas avoir des regrets. Si jamais tu tentes et que ça finit mal, bah tu pourras compter sur ton entourage pour te relever. Ta rien à perdre Kira, alors si ton cœur de dit d’y aller, fonce ! »

Si Sleïlo débarquait devant Aiko pour lui dire qu’elle l’aimait encore et lui pardonnait, la Japonaise n’hésiterait pas une seconde. Bon ok, c’était elle qui était partie donc c’est sur qu’elle n’avait pas le dilemme de Kiralee. À la place de Yuki en revanche, elle espérerait de tout son cœur que ses excuses soient acceptées et que Sleïlo veuille bien lui donner une seconde chance. En fait, c’est exactement ce qu’elle attendait en ce moment. Que Sleïlo lui laisse une autre chance. C’est pour cela que ça lui faisait mal d’en parler. Si Sleïlo ne voulait plus entendre parler d’elle, elle serait détruite.
À la suite de l’explication de Kiralee, Aiko fit de gros yeux.

« Sérieux ? Elle a oublié son téléphone ? »

Cela arrivait pour de vrai ? Aiko termina son propre verre d’eau et manqua de le recracher en entendant la résolution de Kiralee. Cette fille allait lui causer des ennuis.

« Ah ouais ? Et tu comptes t’y prendre comment ? Tu ne marches même pas droit ! »

La Japonaise hésita. Il lui restait seulement une heure de travail avant que quelqu’un vienne prendre la relève pour la soirée. Sortir avec Kiralee lui permettrait de se changer les idées et de s’amuser.

« Et puis merde. »

Lança-t-elle avant de fermer le bar à clef et de compter rapidement sa caisse. Elle espérait ne pas perdre son travail, mais dans le pire des cas, elle n’y jouait pas sa vie non plus. Elle se tourna vers la danseuse et la regarda avec un air mi-amusée, mi-épuisée par son comportement.

« Attends-moi là ! »

Lança-t-elle avant de se rendre au vestiaire. Elle se changea rapidement et enfila son pantalon rouge bordeaux, son sous-pull blanc et sa veste en jean rembourré de laine. Elle mit également son bonnet de la même couleur que son pantalon et ses fidèles DOC Martens noirs. Une chance qu’elle prévoyait toujours une tenue de rechange en plus de son habit de sport. Elle sortit du vestiaire en enfilant son sac banane autour de son torse.

Elle termina par prendre son téléphone et texter sa boss en lui annonçant qu’elle quittait plus tôt pour urgence familiale. Aiko n’avait jamais manqué un jour de travail et était toujours disponible pour faire des remplacements. Sa boss ne lui en voudrait surement pas de quitter une heure plus tôt.

« On va passer par la porte de derrière, suis-moi. »

Prenant le bras de son amie pour l’aider à marcher, elle la dirigea vers l’arrière du bar pour sortir par la porte de employés. Une fois dehors, elle marcha dans une direction aléatoire et demanda :

« Qu’est-ce que tu veux faire maintenant ? »

« Oh ça… Je t’avoue que je ne sais pas comment ça s’est terminé. Elle a arrêté d’en parler du jour au lendemain et restait évasive quand j’abordais le sujet. Je pense que Nozomi ne lui a jamais redonné de nouvelle… Mais elle a quelqu’un d’autre en vue ! La dernière fois que je l’ai vu, elle était tout le temps sur son téléphone. Je pense qu’elle s’est inscrite sur un site de rencontre ! »

Aiko connaissait bien sa sœur, mais était toujours autant étonnée de voir sa faculté à tomber amoureuse. Elle ne comptait plus les fois où sa sœur lui avait parlé d’une fille en évoquant que c’était son grand amour. Malgré cette faculté et son acharnement, Aiko savait qu’à chaque fois cela finissait par une peine de cœur que Natsuki camouflait par un nouveau Crush. Elle espérait sincèrement que sa sœur trouve un jour quelqu’un de sérieux, prête à lui rendre tout l’amour qu’elle pouvait donner.

Aiko se demanda sérieusement ce qui lui prenait tout à coup. Elle se retrouvait dans l’auto de Kiralee qui allait conduire ivre et elle ne trouva même pas la force de s’en aller. Elle se sentait fatiguée tout à coup. Comme ci elle n’avait plus la force d’écouter sa raison. Elle se contenta d’ignorer l’alarme qui sonnait en elle et suivit Kiralee sans broncher.

« Je te préviens que si on a un accident, je te tue. »

Elle ne s’attendait pas du tout à ce que l’Américaine prenne une route en forêt qu’Aiko connaissait bien. Elle n’avait pas le souvenir d’avoir évoqué sa maison d’enfance une seule fois en présence de Kiralee. Peut-être que Natsuki l’avait fait ? L’ancienne comédienne ne savait pas quoi dire une fois rendu face à cette bâtisse abandonnée qui lui rappelait de nombreux souvenirs. Ses parents n’avaient pas voulu la vendre, prétextant que ça leur ferait une maison de campagne. Ils n’y avaient cependant pas mis le pied depuis plusieurs années et la maison avait subi les conséquences de cette négligence.

Pourtant c’était une maison magnifique, à l’architecture traditionnelle. Aiko s’avança et vint récupérer une clef se trouvant sous une roche. Elle alla débarrer la porte d’entrée qui s’ouvrit dans un grincement sinistre. Elle essaya d’allumer une lumière, mais l’électricité devait être coupée puisque rien ne se produisit. Elle prit alors son téléphone qu’elle alluma comme lampe de poche.

« Je te fais visiter ? »

« Je te jure ! Elle a déjà un rencard de prévu ! J’espère qu’elle ne va pas se faire avoir et briser le cœur. Elle mérite vraiment de trouver quelqu’un de bien. Mais bon la fille avec qui elle parle à l’air bien, elle vient d’avoir son diplôme de l’académie, je crois. Je n’en sais pas plus… »

Aiko se rendait compte à quel point elle s’était éloignée de sa sœur. Il allait falloir qu’elle passe davantage de temps avec elle, elle n’avait pas envie qu’elles deviennent des étrangères l’une pour l’autre. C’était après tout la seule famille qui lui restait. Elle s’en voulait encore d’avoir laissé sa petite sœur avec ses parents, elle n’avait pas eu vraiment le choix. Elle espérait vraiment qu’elle ne lui en tiendrait pas rigueur. Aiko se promit de l’appeler le lendemain.

La maison avait vraiment une ambiance glauque la nuit. Pourtant, Aiko s’y sentait chez elle. À vrai dire elle s’y sentait bien et en sécurité.

« Quand on a déménagé, on a laissé a maison à mes grands-parents. On revenait pour les vacances Natsuki, Hikari et moi. Quand mes grands-parents sont décédés, mes parents étaient trop occupés pour s’occuper de la maison. Alors on a juste arrêté d’y aller. Ils ont légué la maison à Natsuki, mais elle était trop jeune pour l’avoir donc ses mes parents qui en étaient propriétaire le temps que ma sœur devienne majeure. Elle pourrait la réclamer maintenant, mais il faut que la transmission se fasse avec nos parents… »

La Japonaise poussa une porte coulissante qui donna sur un salon. Un petit hôtel shintoïste trônait contre un mur et Aiko s’y avança afin d’allumer un bâton d’encens. Elle mit ses mains en prière et souhaita de protéger la maison et ses sœurs.

« Oui tu as raison, il n’y a pas de raison que je m’en fasse. Natsuki est une grande fille après tout ! »

Elle avait encore le réflexe de materner sa grande sœur et pourtant, cette dernière lui avait montré à mainte reprise depuis son retour qu’elle était capable de se gérer. Elle ne souhaitait simplement pas qu’elle ait une nouvelle peine de cœur. Elle était bien placée pour savoir à quel point ça faisait mal.

« Je pense qu’elle ne s’en souvient pas. Il va falloir que j’en discute avec elle. C’est son droit de récupérer ce qui lui appartient. »

Elle ne laisserait certainement pas son aînée dans l’ignorance. De plus, Natsuki adorait cette maison. Elle serait surement partante pour la remettre en état. La Japonaise termina sa prière, souriant en entendant la réflexion de son amie. Le comportement de Kiralee avait autrefois le don de l’irriter, aujourd’hui elle se surprenait à apprécier sa façon d’exprimer ses pensées à voix haute, sans aucun filtre.

« Excuse-moi. Ma sœur est présente dans la majeure partie de mes souvenirs, j'ai passé une grande partie de ma vie à m'occuper d’elle, ça laisse des séquelles. Hikari était plus indépendante même si elle cherchait toujours mon attention. »

Oups, elle recommençait, mais avec la petite sœur cette fois. Elle délia ses mains et se redressa pour regarder sa meilleure amie en riant.

« Ok, c’est plus fort que moi on dirait. Alors… que dire de mon enfance sans parler de mes sœurs… »

Elle réfléchit un instant. Essayant de se souvenir de l’époque où ses parents étaient encore présents et s’occupaient de leurs enfants. L’époque ou Aiko n’avait pas à gérer ses sœurs. Elle eut un sourire nostalgique en se remémorant cette période de paix.

« Quand il pleuvait, j’aimais me mettre sous l’abri du jardin et regarder le bassin se remplir d’eau. Ma mère avait tout le temps peur que je tombe malade, mais ça faisait rire mes grands-parents. Les jours plus ensoleillés je passais mon temps à provoquer Natsuki pour qu’on fasse la course à travers la maison. Elle avait souvent la flemme, alors je prenais une poignée de friandises dans sa réserve personnelle pour l’appâter. J’aimais aussi passer du temps avec ma grand-mère. J’étais toujours dans ses pattes, c’est elle qui m’a appris à cuisiner et coudre. Avec mon père on allait souvent se balader en forêt. Il nous laissait sauter dans les flaques d’eau et se moquait bien qu’on rentre pleine de boue. Le soir nos parents venaient nous raconter des histoires avant que l’on s’endorme… »

Elle sentit une pointe de tristesse l’envahir. Comment ses parents avaient-ils pu changer ainsi ? Ils avaient toujours été présents pour leurs filles et avaient tout fait pour qu’elles soient épanouies. C’est pour cela qu’ils avaient commencé à se mettre de la pression niveau financier et qu’ils s’étaient mis à travailler comme des forcenés pour obtenir plus d’argent. Aujourd’hui, ils s’étaient laissé posséder par l’appât du gain et n’en avaient jamais assez… Les yeux de la barmaid se posèrent sur un cadre photo représentant sa famille, ses grands-parents, ses sœurs, Hikari ne marchait pas encore. Tous souriaient. Une larme solitaire roula sur la joue d’Aiko qui s’empressa de l’éliminer avant de continuer sa visite des lieux.

"On pourrait la rénover, ça me permettrait de passer du temps avec ma soeur tout en apprenant à bricoler. Tu pourrais te joindre à nous !"

C’était difficile de demander à Aiko, qui avait passé sa vie à être dévouée à ses sœurs, puis à Sleïlo, de ne plus se préoccuper de personne et de penser à elle. En réalité, l’idée de se retrouver seule lui foutait les jetons. Tout le monde sembla avancer et évoluer autour d’elle, tandis qu’elle restait coincée dans ses remords. Kiralee avait raison, il fallait qu’elle se reprenne en main. Une chance que l’Américaine eût une façon bien à elle de montrer son inquiétude. La Japonaise regarda un instant ses cheveux en levant un sourcil, avant de donner un petit coup de poing dans l’épaule de son amie.

« Enfoirée, t'es pas obligée d’abuser non plus. Je n’ai jamais eu les cheveux très longs jte f’rais dire ! Puis, maintenant que tu t’es repris en main, faut bien quelqu’un pour reprendre le rôle de look de merde que tu avais ! »

Elle lui tira la langue avant de passer une main dans sa touffe de cheveux chaotiques. Kiralee n’avait pas tort, une petite coupe de cheveux lui ferait le plus grand bien. Elle n’était pourtant pas certaine que ça puisse résoudre ses problèmes. Alors que l’idée que venait de lui proposer la danseuse, oui. Aiko la regarda un instant, une flamme se ravivant dans ses yeux. Ce n’était vraiment pas bête comme idée. Aiko avait toujours pratiqué des sports dans sa vie, d’abord de combat et après plus athlétiques, comme la course, qu’elle faisait plusieurs fois par semaine pour se vider la tête. Elle ne pouvait cependant pas montrer à quel point cette idée l’emballait, Kiralee prendrait trop la grosse tête sinon. Elle se contenta de mettre les mains dans ses poches, en haussant les épaules. Elle ne pouvait cependant pas cacher son sourire malicieux.

« Ouais, pourquoi pas, j’y réfléchirais… »

Elle continua sa marche, mais avait retrouvé de l’énergie. Elle se dit qu’une fois rentrée, elle s’informerait sur les conditions d’admission de l’académie des sports. Se relancer dans des études lui permettrait sans doute de se remettre en selle et de trouver sa voie.