Combattre ses peurs [PV Sara]

Essoufflée, Aiko regagna sa chambre aux dortoirs. Elle termina sa course par une séance d’étirement et de méditation. Elle avait fini par suivre les conseils de sa sœur qui lui avait dit que renouer avec ses chakras l’aiderait à davantage relativiser dans la vie. D’abord sceptique, elle s’était moqué d’elle, avant d’essayer une fois rendu seule dans sa chambre. Elle ne croyait pas forcément aux énergies ou à une quelconque spiritualité, mais elle devait avouer que prendre un moment pour elle au clame, l’aidait à gérer sa nervosité.

Depuis qu’elle avait ajouté des séances de méditation à son programme, elle se sentait beaucoup plus relax. Elle avait alors remercié sa sœur pour le conseil. Parfois elle se disait que Natsuki devait être la réincarnation d’un vieux sage et qu’il prenait possession d’elle à des moments randoms. Sa période de relaxation terminée, elle alla se laver et enfila des vêtements confortables pour la soirée, à savoir un legging noir et son sweat à capuche jaune.

Il faisait encore bon dehors et il lui restait encore quelques heures avant de souper. Elle décida d’aller prendre une marche pour profiter encore de l’air frais et faire sécher ses cheveux au grand air. Cela faisait un moment qu’elle n’avait pas vu son amie Sara et alors qu’elle pensait à cela, ses pas la menèrent automatiquement jusqu’à l’écurie. Elle aperçut au loin sa camarade, qui sautait des obstacles sur le dos de son cheval.

La Japonaise hésita. Elle avait déjà une boule au ventre et sentait ses mains devenir moites. Rien que l’odeur de l’écurie lui fit avoir des sueurs froides. Mais en même temps, elle voulait vraiment voir son amie et prendre de ses nouvelles. Elle pouvait toujours attendre de la revoir à la cafétéria. Non, il fallait qu’elle soit courageuse. Prenant une grande inspiration et son courage à deux mains, l’athlète se décida et avança vers la carrière les mains dans les poches de son sweat.

Elle garda une distance raisonnable et regarda son amie terminer son parcours. Il fallait avouer que c’était impressionnant de voir cette grosse bête faire de tel saut. Et elle parlait de Fantaisie, pas de Sara. Quoiqu’il fût tout aussi impressionnant de voir la cavalière si concentrée et garder son équilibre. Aiko en resta un moment bouche bée, ne s’attendant pas à ce que ce soit si spectaculaire.

Quand l’Allemande eut fini, Aiko attendit de croiser son regard avant de lui faire un grand signe de la main. Elle avait escaladé la rambarde en bois pour se faire plus grande et être vue par son amie. Quand cette dernière s’approcha avec sa monture, elle regagna rapidement le sol de l’autre côté et recula de quelque pas. La barrière avait l’air solide, mais elle préférait garder ses distances avec l’équidé.

« Ohayo Sara-chan ! C’était impressionnant de vous voir ! Vous êtes incroyables toutes les deux ! »

Malgré sa peur, elle avait les yeux brillants et un grand sourire, dignes d’un gamin de 5 ans émerveillé.

Pendant un instant ses yeux se braquèrent sur l’animal. Elle voulait s’assurer qu’il ne s’approche pas, avant de reporter son attention sur sa kohai. Elle sentit ses joues rougir de honte en entendant sa remarque. Aiko passa une main nerveuse sur sa nuque, offrant un sourire malaisé à Sara.

« Ça va. C’est juste que ça fait vraiment longtemps que je n’ai pas vu de chevaux aussi proches. »

Il fallut encore quelques secondes à la Japonaise, et un nouveau regard sur Fantasie, avant qu’elle n’ose s’approcher à nouveau des barrières en bois. Elle appuya ses bras croisés dessus, pour se donner un air plus détendu, mais son corps crispé trahissait sa nervosité. Elle ne savait pas pourquoi elle essayait de se forcer ainsi à avoir l’air à l’aise, alors qu’elle ne l’était pas.

« Cela doit te paraitre bizarre que j’aie une telle peur. Toi tu es tellement à l’aise. Bon en même temps c’est normal, c’est ta passion. Mais waouh… j’avais oublié que c’étaient des animaux aussi imposants… »

Nouveau tic nerveux et regard vers la bête, avant de se reconcentrer sur Sara.

« C’est un peu idiot comme peur. D’ailleurs, à par ma sœur, tu es la seule au courant. Les gens ont tendance à penser que je n’ai peur de rien et que je suis pleine d’assurance. Comme tu peux le voir, ce n’est pas le cas. »

Elle eut un rire mi-amusé mi-nerveux. Elle pensait que tourner sa peur en dérision l’aiderait à la détendre.

« Mais bon, il faut bien que je fasse un effort. Si je veux pouvoir te soutenir et être votre supportrice numéro 1 à toi et Fantasie, il faut bien que je combatte ma peur ! »

Cette fois son sourire fut plus sincère et chaleureux. Elle avait été honnête quand elle avait dit qu’elle soutiendrait Sara et viendrait l’encourager lors de ses compétitions. Elle pouvait donc bien faire un effort pour montrer à la cavalière qu’elle était là, et que ce n’était pas des paroles en l’air.

Aiko garda son sourire et se sentit déjà un peu plus détendu. Le calme et la bienveillance dont faisait preuve Sara avaient le don de l’apaiser. La cavalière était loin de la juger et contraire faisait preuve de compréhension. Elle ne cherchait pas à forcer l’athlète à entrer en contact avec sa jument. Elle lui laissait le temps et l’espace d’avancer à son rythme.

« Humm, peut-être oui. Mais en même temps je ne me sens pas encore prête à entrer dans une écurie remplie de chevaux… même s’ils sont dans des boxes. »

Sara était touchée de son soutien, mais pour Aiko il était normal. Bien qu’elle ne soit pas une grande fan de chevaux, elle admirait la passion de son amie. Elle l’avait entendu en parler plusieurs fois, mais en voyant l’aisance qu’elle avait dans cet enclos, tous ses discours prirent soudainement sens. Aiko avait l’impression de redécouvrir sa Kohai qui semblait beaucoup plus épanouie.

Aiko pencha la tête sur le côté en entendant la remarque de son amie, avant que cette dernière ne dise un mot en allemand. À la surprise de la Japonaise, la jument ploya un genou pour lui faire une révérence. L’athlète ne s’attendait pas à ça et regarda la cavalière et sa monture de manière stupéfaite.
La surprise laissa place à l’amusement et au rire. Aiko ne pouvait retenir ce dernier en voyant les deux comparses interagir de manière si complice.  Elle se sentit privilégiée d’assister à ce moment touchant et drôle. Elle s’était de nouveau rapprochée de la barrière, les bras et la tête appuyée dessus. Un grand sourire enfantin étirait ses lèvres alors qu’elle ne manqua pas une miette de l’échange entre Sara et Fantaisie.

« Je dois avouer que pour le coup, vous êtes vraiment adorables toutes les deux. »

Il était certain qu’Aiko n’était absolument pas prête à entrer dans l’écurie. Elle en avait des nausées rien qu’en y pensant. Non, ce qu’elle faisait actuellement c’était pour l’instant sa grande limite. Elle avait sa fierté certes, mais effectivement elle n’irait pas risquer de tombée bêtement inconsciente juste pour démontrer son courage.

« Oui, on verra dans dix ans. »

Elle ne voulait pas douter de ses capacités, mais actuellement l’idée ne la tentait pas le moins du monde. Un sourire compatissant courba ses lèvres. Ainsi Sara craignait les gros chiens. Il était vrai que certains pouvaient être imposants. Moins qu’un cheval selon Aiko, mais un chien faisait partie de la team des prédateurs. Ils pouvaient donc être aussi plus dangereux. Le seul chien qu’Aiko avait réellement connu était un amour, alors c’est sur que son point de vue était biaisé sur le sujet. Elle était toutefois touchée que Sara lui fasse ce partage. Son sourire s’attendrit, la cavalière pouvait se montrer adorable sous son air habituellement détaché.

Aiko se sentie rougir en se rendant compte qu’elle l’avait juste regardé en souriant bêtement au lieu de lui dire quoique ce soit. Elle n’eut pas l’occasion de le faire puisque Sara était partie rejoindre sa jument pour faire son numéro. Aiko était contente d’avoir osé venir et d’assister au spectacle. C’était rafraichissant, drôle et touchant. Elle eut un fou rire lors du final, pensant d’abord que sa Kohai jouait la comédie. Ce n’est qu’en entendant son commentaire qu’elle pénétra dans l’enclos en passant entre les planches de la barrière. Son ton restait cependant rieur.

« Attends, je vais t’aider ! »

Elle attrapa doucement la taille de la cavalière et la dirigea jusqu’à son sac. Elle se permit de fouiller dedans pour en sortir la bouteille d’eau, après avoir relâché son amie. Elle ouvrit le contenant et se tourna vers la blessée. Elle avait encore son fou rire.

« Penche ta tête sur le côté. »

Elle entreprit de lui verser de l’eau sur les yeux pour les rincer. Malheureusement la bouteille était bien pleine et Aiko ne contrôla pas tout de suite le débit qui coulait, inondant maladroite le visage au complet de Sara.

« Oups, excuse-moi ! »

Évidemment, la tête qu'avait Sara avait eut pour effet de la faire rire davantage et il lui fallut quelque seconde pour reprendre son calme et réussir faire couler doucement de l’eau sur les yeux de l’Allemande. L’opération terminée, elle s’assura que sa patiente avait retrouvé la vue en lui demandant combien elle voyait de doigts sur sa main ouverte.

Aiko riait tellement qu’elle en avait les larmes aux yeux et des crampes au ventre. Son fou rire avait repris après la remarque de Sara et son expression faussement outrée. Ce rire partagé lui fit un bien fou. Il lui fallut un moment pour redescendre sur Terre et reprendre conscience de son environnement. Effectivement elle était entrée dans l’enclos sans même s’en rendre compte. Fantaisie était cependant restée à distance et c’était mieux ainsi. Étonnement, Aiko ne se sentit pas davantage mal à l’aise que lorsqu’elle était derrière les barrières.

« Que veux-tu, il fallait bien que quelqu’un sauve tes beaux yeux ! Et puis, si tu comptes ne plus être ici dans 10 ans, il faut que je me magne si je veux te montrer mes progrès. Je ne compte pas faire un voyage jusqu’en Allemagne juste pour te montrer que je suis capable de rentrer dans une écurie. »

Elle disait cela sur le ton de la plaisanterie, mais en même temps ça lui faisait de la peine de penser que Sara ne serait pas toujours là. Elle oubliait parfois que la majorité des étudiantes n’étaient pas originaires du Japon et avaient des vies à retrouver dans leur pays natal. Il ne fallait pas qu’elle perde sa bonne humeur pour autant. Elle avait encore du temps devant elle pour profiter de sa camarade.

« Je suis libre comme l’air ! Tu voudrais faire quelque chose en particulier ? »

Elle n’avait aucune obligation pour le reste de la journée et était venue ici pour passer du temps avec la cavalière. Elle lui laissait donc proposer des idées tout en réfléchissant également à des propositions si jamais rien ne lui venait en tête.

La cavalière n’avait pas vraiment tenu à se retrouver perdue au beau milieu de nulle part sans savoir comment rentrer saine et sauve à l’académie. Aiko connaissait la ville et puis elle savait lire les informations en japonais qui échappait à ses yeux c’était son avantage en tant que native du pays. De plus, Aiko lui avait raconté qu'elle était ici depuis plusieurs années, elle devait connaître la ville mieux que l'application Waze.

Le sourcil d’Aiko se redressa sur son front, alors qu’elle observait Sara sortir une feuille de sa poche. Elle avait l’air un peu usée par le temps, est-ce que la cavalière la trainait partout avec elle depuis son arrivée ? L’Allemande ne cessait de la surprendre.

« Va pour un tour de ville et une crêpe ! Je connais une bonne adresse. Et pas de problème, ça va me laisser juste assez de temps pour me remettre de mes émotions. »

Elle fit un sourire à sa Kohai et la salua de la main, avant de quitter la carrière. Elle prit une grande respiration une fois rendue un peu plus loin. Elle sentait encore ses jambes un peu flageolantes, mais elle était fière d’elle.

Une fois de retour dans sa chambre, elle entreprit de la remettre un peu en ordre, avant de réviser ses cours pour le lendemain. Ses lectures terminées elle soupira en constatant qu’il lui restait encore 30 minutes à patienter. Elle tourna sur sa chaise de bureau, en regardant le plafond, les bras derrière la tête et un crayon tenant entre son nez et sa lèvre supérieure. Elle dut s’arrêter après cinq tours pour cause de tournis. Elle reprit ses esprits et troqua son legging pour un pantalon noir. Elle fit des ourlets au niveau de ses chevilles. Elle se regarda un instant dans son miroir, replaçant ses cheveux. Ils étaient plus longs qu’autrefois, mais elle aimait bien cette nouvelle longueur.

Elle regarda à nouveau l’heure, encore 10 minutes. Aiko était du genre hyperactif, elle n’aimait pas rester sur place à ne rien faire d’autre qu’attendre. Mais elle devait laisser le temps à Sara de finir de s’occuper de sa jument et se préparer.

Elle enfila ses docs Martens noir, sa veste en jeans et décida de retourner dehors. Ça prenait bien dix minutes à faire le tour du campus en marchant. Elle n’eut cependant pas le temps de vérifier cette information qu’à peine sortie du dortoir elle tombât sur un groupe de fille portant l’uniforme de l’académie des arts. Aiko reconnaissait vaguement quelques visages qu’elle croisait quand elle était en théâtre.

« Tsukino-san ! C’est justement toi que nous venions voir ! »

Aiko releva un sourcil interloqué. Elle n’avait pas revu ces filles depuis son départ. Que lui voulait-elle ? Elle sentit une pointe d’inquiétude dans sa poitrine. Était-il arrivé quelque chose à Natsuki ? Ou Sleïlo ? Elle ne voyait pas pour quelle autre raison ces filles seraient venues la voir sinon. Elle allait justement leur poser la question, mais celle qui semblait parler pour le groupe la devança.

« Je ne sais pas si tu te souviens, mais nous étions dans le même cursus que toi. Nous t’avons toujours admirée, nous tenions à te dire que nous sommes vraiment heureuses de savoir que tu es de retour, même si tu as changé d’académie. »

« Et il parait que tu es très douée dans ta nouvelle discipline ! Il n’y a rien que tu ne peux pas faire Tsukino-san, tu es incroyable ! »

« Oh..euh..bah..merci... je suppose… »

La Japonaise passa une main sur sa nuque, mal à l’aise. Elle n’avait jamais aimé ce genre de situation. Elle avait passé son temps à être simplement poli avec ces filles qui s’était accroché à elle comme des sangsues. Quand elle avait commencé à fréquenter Sleïlo ça s’était un peu calmé, même si leur couple était admiré aussi, elles avaient été plus intimidées en présence de la jeune femme aveugle.

Un des points positifs d’avoir quitté l’académie, c’était surtout de ne plus avoir ces filles sur le dos et de pouvoir être peinard. Elle n’avait absolument pas envie que ça recommence maintenant. Mais ces filles n’étaient pas méchantes, elle ne pouvait pas les envoyer chier comme le ferait Kiralee. Elle n’était pas comme ça. Elle devait juste prendre son mal en patiente et espérer qu’elles repartent comme elles étaient venues.

« On se demandait si tu voulais sortir avec nous en ville ? »

« Oh… merci de l’invitation, mais je ne peux pas. J’ai déjà quelque chose de prévu aujourd’hui. »

Sara sortit à son tour à ce moment. Sauvée par le gong ! Aiko s’inclina poliment devant ses anciennes camarades.

« Il faut que j’y aille, désolée. »

Et sans plus de cérémonie, elle s’empressa de rejoindre la cavalière en échappant un soupir de soulagement.

« Pas de problème. Tu tombes à pic ! On y va ? »

Elle entendit les autres filles marmonner entre elles, mais ne voulait pas y prêter attention. Elle allait peut-être encore se retrouver dans le journal de l’école, mais elle s’en moquait. Sara fit un commentaire sur le sujet et Aiko se contenta de mettre les mains dans les poches de sa veste et d’hausser les épaules de manière nonchalante.

« Que veux-tu, je suis pleine de mystères. »

Elle n’avait pas envie de s’attarder sur le sujet. Cela n’en valait pas la peine. Ces filles avaient toujours tout fait pour essayer de se rapprocher d’elle. Uniquement parce qu’elle avait de bons résultats scolaires. Elles ne la connaissaient absolument pas. Quand elle s’était retrouvée en difficulté, aucune de ces filles n’était venue l’aider. Au contraire, certaines avaient démarré des rumeurs sur le fait qu’elle était revenue pour harceler Sleïlo. Aiko préférait rester loin d’elles. Elle n’avait aucune envie que sa vie soit de nouveau épiée et que de parfaites inconnues se permettent de la commenter.

« Est-ce que tu veux commencer par te goinfrer avec une crêpe ou on garde ça comme récompense pour la fin de notre tour ? »

Aiko gardait son sourire habituel et marcha tranquillement jusqu’à la station de bus. En même temps qu’elle avançait, elle réfléchit aux endroits qu’elle pourrait faire découvrir à Sara. Plusieurs idées lui vinrent rapidement.

« Elles étaient effectivement en théâtre aussi. Mais je ne les connais pas tant. J’avais tendance à être suivi un peu contre mon gré. Ne t’en fais pas, je n’avais aucune envie de les inviter. Je serais ta guide personnelle aujourd’hui ! Cette sortie fera partie de l’apprentissage que je me dois de te transmettre ! »

Aiko écoutait Sara, amusée de sa réaction et de sa taquinerie. Elles attendaient le bus, qui ne devrait par tarder à arriver. Il y avait des navettes quasiment au 10 minutes pour assurer aux étudiantes d’avoir un accès constant à la ville.

« Évite de me percer trop fort s’il te plait, ça doit faire mal. »

Elle essaya de garder un visage neutre, pour faire croire que sa remarque complètement décalée était sérieuse. Mais elle ne put empêcher la commissure de ses lèvres de se courber.

« Je ne t’abandonnerais pas ne t’en fais pas. Mas je ne pensais pas que tu étais tu genre à être anxieuse au point de faire une crise de panique. Tu as souvent un air détaché qui donne l’impression que rien ne peut t’atteindre. Est-ce que ce genre de crise t’arrive souvent ? »

Il n’y avait aucun jugement dans le timbre de sa voix. Elle se sentait simplement concerné par le bien être de Sara. Quand elle était retournée chez ses parents, il lui était arrivé de faire des crises d’angoisses. Elle n’en avait plus refait en reprenant sa vie en main, mais elle savait à quel point c’était horrible à vivre. L’autobus arriva et Aiko laissa monter Sara avant de la suivre. Il n’y avait pas grand monde à cette heure-ci, mais Aiko resta tout de même debout. Laissant Sara choisir si elle voulait s’asseoir ou non. La Japonaise tendit son bras pour attraper la poignée au-dessus de sa tête et se maintenir tandis que le bus démarrait.

« Ça, c’est ce que j’appelle un plan parfait ! Premier arrêt les crêpes alors. »

Elle fit un sourire à la cavalière et porta attention au nombre d’arrêts avant de rejoindre le quartier de la restauration. Aiko n’était pas gourmande. À croire que sa sœur avait pris sa part concernant l’amour du sucre. Elle aimait manger une douceur de temps en temps, mais n’avait aucune addiction. Elle était d’ailleurs assez stricte avec son alimentation. Veillant à manger sainement et à doubler ses séances d’exercice si elle commettait des écarts. Son corps était son outil de travail. Si elle voulait réussir et faire carrière dans l’athlétisme, elle avait tout intérêt à en prendre soin.

« Humm… ça dépend de beaucoup de chose, notamment les ingrédients, son humeur et le nombre de repas qu’elle a englouti avant. Mais disons qu’en condition optimale, elle serait capable de manger une bonne quinzaine de crêpes bien garnies. »

Et il n’y avait aucune exagération là-dedans. Elle avait souvent fait des crêpes pour ses sœurs. Et Natsuki avait tendance à en avaler deux fois plus que la quantité mangée par Aiko et Hikari ensemble. Elle eut un léger rire amusé. La réputation de sa sœur n’était plus à refaire. Le bus arriva à destination et Aiko enclencha le bouton d’arrêt tout en avertissant l’Allemande qu’elles allaient descendre. Encore une fois, elle la laissa passer devant elle et salua poliment le chauffeur avant de descendre à son tour.

« Bienvenue dans le quartier des loisirs et de la restauration ! La ville a fait en sorte de tout regrouper par thèmes. Ainsi tu n’as pas besoin de parcourir des milliers de kilomètres pour trouver un resto après être allé au cinéma par exemple. Tout est à la même place ! »

Aiko ouvrit cette fois la marche pour amener la cavalière à la fameuse crêperie. C’était un petit magasin un peu en retrait de la rue principale. Pour Aiko, et aussi pour Natsuki, il s’agissait des meilleurs crêpes de la ville.

"15 crêpes à elle seule ? Elle a déjà pensé à faire des concours de nourritures ? Parfois dans les restaurants ils servent des plats XXL et si tu termines tout en un temps record tu peux gagner des prix !"

Sa blague n’avait pas fonctionné. Il allait vraiment falloir qu’elle travaille son humour. Ou que Sara travaille son second degré. Aiko eut un léger rire et replaça une de ses mèches derrière son oreille.

« C’était une blague, mais l’humour n’est pas ma force apparemment. »

Lorsqu’elle s’adressait à Sara en Japonais, elle prenait le temps d’articuler pour que l’Allemande puisse facilement la comprendre. Parfois, elle traduisait immédiatement en anglais, surtout quand elle utilisait des termes qui pouvaient avoir plusieurs sens. Elle essayait un maximum de communiquer avec elle en Japonais pour que la cavalière soit plus à l’aise avec la langue. Après ces multiples mois de cours particulier ensemble, cela semblait porter ses fruits. Aiko était vraiment fière des progrès que faisait Sara.

« Je comprends. Je te trouve très courageuse. Je ne sais pas si j’aurais été capable de quitter ma famille, mon pays et tout ce que je connais pour partir dans un endroit qui m’est complètement étranger. Je t’admire. Vraiment. »

Elle était sincère. Sara était partie malgré qu’elle avait à peine la majorité. Peu de personnes étaient capables d’ainsi miser sur leur rêve et de tout abandonner pour le réaliser. L’école était remplie d’étrangère qui avait cette même force. Aiko n’y avait jamais vraiment porté attention avant de rencontrer la cavalière. Après tout, les seules personnes étrangères qu’elle connaissait vraiment n’avaient pas grand-chose qui les retenait dans leur pays natal.

« Si cela t’a permis de te sentir un peu mieux ici, alors ça veut dire que ma mission est réussie. Je suis contente de pouvoir t’aider Sara. Et, tu es de bonne compagnie alors je n’ai même pas besoin de me forcer. Cela me fait du bien aussi de passer du temps avec toi. »

Ses lèvres s’étirèrent en un doux sourire. Elle aussi était reconnaissante d’avoir croisé le chemin de la cavalière. Elle se sentait un peu moins seule depuis. Même si elle savait qu’elle avait des amies et une sœur sur qui compter, Sara elle, n’avait pas d’obligation de couple, tout comme elle. Aiko adorait ses amies, mais se sentait souvent comme la cinquième roue du carrosse, ou le « I ». Cela la mettait souvent mal à l’aise, mais elle se souvenait qu’elle aussi, avait été comme ça. Elle aussi avait souvent fait passer son couple avant tout. Elle n’en voulait à personne, c’était normal. Mais avoir une amie qui sortait de ce schéma lui faisait vraiment du bien.

Le bus s’arrêta et son freinage fit légèrement perdre l’équilibre des deux sportives restées debout. Aiko eut le réflexe de passer une main dans le dos de sa camarade pour l’aider à se maintenir, mais aussi pour conserver son propre équilibre. Elle eut un sourire amusé en entendant Sara s’excuser et la rassura en lui assurant que ce n’était rien.

« Oui j’ai rarement vu quelqu’un manger autant, on pourrait organiser un concours au sein des deux académies, mais pas sûr que les directrices soient d’accord avec le projet ! »

Après tout, inciter leurs étudiantes à se goinfrer irait un peu à l’encontre de leur principe d’éducation. Un esprit sain dans un corps sain. Aiko elle-même en avait fait son nindo. Mais cela aurait pu être amusant de voir toutes les goinfres du coin s’affronter dans un immense banquet.

Le temps était agréable, cette sortie permettait à Aiko de se ressourcer et de changer un peu d’air. Les seuls moments où elle quittait l’enceinte de l’école, c’était soit pour s’entrainer, soit pour aller travailler. Il y a bien longtemps qu’elle n’avait pas profité d’une simple balade dans les rues de la ville. Sara lui fit part de son envie d’entrer dans une boutique, et sans même avoir eu le temps de lui répondre, Aiko la vit disparaitre dans la bâtisse. Elle la suivit sans dire un mot, regarda les étalages en laissant l’Allemande faire ses achats. Si jamais elle se retrouvait en difficulté pour converser avec la marchande, Aiko interviendrait. Ce ne fut pas le cas. Sara effectua son achat avec brio et Aiko salua poliment la propriétaire des lieux avant de rejoindre sa camarade à l’extérieur.

« Good Job Sara ! Tu as vraiment fait beaucoup de progrès, tu as de quoi être fière ! »

Aiko récupéra le sachet que lui tendait sa Kohai en penchant la tête sur le côté. C’était pour elle ? Elle allait la remercier, mais un mot sorti des lèvres de l’Allemande la fit se figer. Son visage prit une teinte rouge et elle regarda Sara avec des yeux incrédules.

« Date ? »

Elle avait parlé tellement bas que l’Allemande ne sembla pas l’entendre, ni même se rendre compte de son soudain malaise. La cavalière reprit la marche, insouciante. Aiko resta encore un instant figé avant de se mettre à la suivre, les yeux rivés sur ses pieds, ses mains tenant fermement le sachet qu’elles tenaient.

À quel moment, cette sortie était devenue un date ? Aiko se repassa la journée et essaya de voir si elle avait été un moment ambigu sur ses intentions ou non. De même pour Sara, à aucun moment elle ne lui avait signalé qu’il s’agissait d’un… rendez-vous. Aiko ne pensait même pas que la cavalière pouvait avoir un intérêt plus qu’amical à son sujet. Qu’est-ce que cela signifiait ? Était-elle aussi nulle que Kiralee le disait, en ce qui concernait sa capacité à comprendre les intentions de ses semblables.

Elle ne savait plus quoi penser. Son cœur avait accéléré sa cadence, elle avait chaud, ses mains devenaient moites. Peut-être avait-elle mal compris ? Et si ce n’était pas le cas ? Que devait-elle faire ? Elle n’y avait pas vraiment réfléchi. Sara était plus jeune qu’elle, certes de seulement de quatre ans, mais tout de même. Elle venait d’avoir 18 ans, Aiko la voyait comme sa cadette, sa Kohai, avait-elle envoyé des signaux sans s’en rendre compte ? Si c’était le cas, elle ne s’en était pas rendu compte ? Avait-elle initié un détournement de mineur sans s’en rendre compte ? Mais non voyons, elle ne devait pas penser à ça. Sara était majeure à présent et elle n’avait rien fait.

Aiko avait pris la décision de prendre du temps pour elle, de prendre le temps de se remettre totalement de sa dernière relation. Se cherchait-elle des excuses ? Peut-être, Kira lui avait déjà dit qu’elle était juste lâche parce qu’elle avait peur de souffrir à nouveau. C’était vrai. Qui aurait envie de revivre un cœur brisé ? Pas elle, elle avait assez souffert. Était elle prête à rester seule toute sa vie pour ne plus à avoir à risquer cela ? Elle n’en savait rien. On lui avait dit que c’était normal, Sleïlo avait été son premier amour, mais elle n’était pas la bonne. Sara pouvait-elle être différente ?

Il fallait qu’elle arrête de réfléchir, elle n’en avait pas envie pour le moment. Ravale tes sentiments Aiko, ce n’est pas le moment de perdre la face. Tu as juste mal compris, Sara n’est pas du tout intéressée par toi, alors ya zéro problème.

Elle réussit à reprendre ses esprits, après ce qui lui semblait être une éternité. Mais en réalité, sa petite crise avait duré moins de cinq minutes. Elle déballa son cadeau pour occuper son esprit avec autre chose. Elle y découvrit un beau porte-clés avec la silhouette d’une hirondelle. Elle eut un sourire et releva enfin les yeux pour les poser sur sa camarade qui marchait un peu en avant d’elle.

« Merci pour le cadeau Sara ! »

Faire comme ci de rien n’était. Continué à agir comme ci de rien n’était. Aiko accéléra légèrement le pas pour se caler au rythme de son amie. Elle la guida jusqu’à la crêperie qui n’était plus très loin.

« Qu’est ce qui te ferait plaisir ?»

« Je ne suis pas fâchée Sara, simplement amusée. »

Décidément elle ne semblait pas être la seule à voir du mal à lire les gens. À moins que son visage soit naturellement sévère ? Natsuki lui avait pourtant toujours affirmé qu’elle avait « une bouille adorable comme quand tu étais petite ! » Son visage devenait-il plus aigri en vieillissant ?

Pesée une fois par semaine ? Aiko fronça les sourcils, quel genre de prof faisait ça ? Aiko était accompagnée par ses professeurs pour sa santé physique, mais elle n’était pas autant surveillée sur sa prise de poids. Elle se pesait peut-être une fois par mois, et encore. Elle était assez libre, parce que c’était à elle de choisir ce qui lui convenait le mieux pour performer. Et ses camarades ne savaient rien de son programme d’entrainement et de ses suivis, sauf si elle décidait de leur en parler.

« On vous oblige à vous peser toutes les semaines ? »

Elle voulait s’assurer d’avoir bien compris avant de spéculer. Elle était vraiment surprise de savoir que la cavalière était autant suivie sur son poids. Est-ce que ses propres entraineurs étaient aussi stricts aussi, mais pas avec Aiko parce qu’elle avait déjà une bonne hygiène de vie ?

L’athlète sentit ses joues rosir en entendant les paroles de son amie. Ainsi, elle allait lui manquer quand elle retournerait en Allemagne. Aiko regarda un instant le porte-clefs dans ses mains, avant de sortir la clef de sa chambre et de l’attacher à son cadeau. Elle les rangea ensuite dans la poche de sa veste, avant porter son regard à ses pieds. Encore une fois elle prenait conscience que sa vie à l’école et la présence de ses camarades n’étaient que temporaires. Un jour, chacune de ses amies partirait vivre leur vie ailleurs. Tout comme elle et elles ne se verraient plus jamais aussi souvent. Il en était de même pour sa sœur qui passerait sa vie en tournée.

Elle releva son regard pour le poser sur Sara. Cela ne faisait pas très longtemps qu’elles se connaissaient, mais Aiko s’était rapidement attachée à elle. Elle aimait sa compagnie et sa présence. Elle se sentait bien avec elle, elle pouvait baisser sa garde. Sara n’attendait rien d’elle, enfin à part de bonnes révisions, mais quand elles se voyaient en dehors des séances de tutorat, elles ne faisaient que profiter de l’instant présent. Il n’y avait pas d’attente, pas de plan particulier, elles improvisaient. Comme cette sortie. Et sortir de son quotidien routinier et très organisé faisait du bien à la Japonaise.
Elle eut un sourire reconnaissant qu’elle offrit à la cavalière. Elle espérait de tout cœur qu’elles garderaient contacte et ce, même si un jour elles se retrouvaient à des milliers de kilomètres l’une de l’autre.

« Je compte bien visiter ton pays un jour ! Et te retrouver tous les quatre ans pour les Jeux olympiques ! »

Le sourire d’Aiko s’intensifia et fut plus rayonnant. Il ne servait à rien de penser au départ de Sara. Elle était là aujourd’hui. C’est tout ce qui était important.

La Japonaise fit un mouvement de tête approbateur pour signaler à l’Allemande qu’elle avait bien reçu sa demande. Elle se tourna ensuite vers le marchand et passa la commande. Elle lui demanda également une crêpe composée de fraise et de crème fouetter. Elle régla la facture en souriant et se tourna vers son amie. Pendant que les crêpes étaient en train d’être préparées, Aiko prit le temps de répéter à Sara ce qu’elle avait dit au marchand, mais de manière plus lente, pour qu’elle puisse entendre et discerner chacun de ses mots.

Une fois les crêpes prêtent, elle les réceptionna et donna la première à Sara, avant de récupérer la sienne. Elle ne put s’empêcher de croquer directement dedans et son visage s’illumina lorsque le doux gout sucré caressa ses papilles. Un vrai bonheur. Elle reprit ensuite son sérieux, gardant un sourire en coin, elle s’adressa à la cavalière.

« Mademoiselle, je vous prie de me suivre pour la suite de votre visite. »

Elle s’inclina légèrement pour la saluer de manière polie, avant de reprendre leur marche. Elle avait un objectif en tête, mais pris son temps pour déambuler tranquillement dans les différentes rues marchandes. Elle continua de grignoter tranquillement sa crêpe, faisant attention de ne pas se mettre de la crème fouettée partout.

« Je me disais, est-ce que tu pourrais m’apprendre l’Allemand ? »

Elle y avait pensé un peu plus tôt, lorsqu’elle avait entendu Sara converser avec la vendeuse. Elle était vraiment contente de ses progrès et s’était dit qu’elle pourrait également apprendre une nouvelle langue.

« Tu te donnes du mal pour apprendre ma langue maternelle, alors je pourrais aussi faire un effort et apprendre la tienne. Comme ça, on sera dans le même bateau et ce sera plus motivant d’apprendre ensemble. Enfin, même si tu as déjà une longueur d’avance, car ton Japonais est dix fois meilleur que mon Allemand. Puis je me dis que si tu m'apprends à parler ta langue, j'arrêterais d'écorcher ton nom de famille. »

Son Allemand qui était actuellement au niveau de zéro. Aiko apprenait cependant rapidement, elle n’était pas inquiète. Elle voulait tout de même vivre cette expérience de découvrir une nouvelle langue et en apprendre plus sur son amie et son pays natal. Elle espérait également que ça lui fasse plaisir.

La coureuse était abasourdie parce qu’elle entendait. Quel genre de prof se permettait d’ainsi exposer ses étudiants ? C’était gênant et humiliant. Elle ne comprenait pas comment elle pouvait ainsi exiger certains critères physiques, sachant que chaque personne était différente et avait des métabolismes tout aussi différents.

« C’est l’entrainement qui devrait être adapté aux athlètes et non l’inverse. Je ne suis pas sûr que la directrice commissionne de telles pratiques. Ce n’est pas une mauvaise chose d’attendre de ses étudiantes d’être en santé et au top de leur forme pour exercer leur sport. Toutefois, c’en est une autre que de vous mettre ainsi la pression et de vous humilier publiquement. C’est inadmissible ! »

La Japonaise serrait les poings. Comment une telle personne avait-elle pu être engagée ? Il fallait qu’elle le signale, cette situation ne pouvait pas durer indéfiniment. Elle savait que leur académie était stricte et visait à former des élites sportives. Mais il y avait des façons beaucoup plus saine et valorisante de le faire. Le choix revenait aux étudiantes.

L’attention perturbée de la Japonaise se porta sur le petit doigt que lui présentait la cavalière. Elle lui accorda un nouveau sourire chaleureux en liant son auriculaire au sien. Elle l'attrapa avec douceur, mais assez fermement pour lui transmettre sa détermination, scellant ainsi sa promesse.

« Promis. »

Elle plongea son regard déterminé dans celui doré de Sara. Pendant un instant, elle se sentit plus légère, sans trop savoir pourquoi, elle avait l’impression d’être à sa place. Cette promesse était importante et elle s’en fit une autre personnelle, celle de tout faire pour la tenir. Elle sentit un léger picotement dans son doigt qui tenait celui de l’Allemande. Un drôle de sentiment l’étreignit alors qu’elle se rendit compte qu’elle était restée plantée là, à tenir le doigt de son amie tout en la regardant un peu trop longuement. Elle allait passer pour une folle, mais elle ne voulait pas perdre la face. Elle se contenta de lâcher sa prise et de détourner le regard, un peu gênée. Ses joues avaient pris une teinte plus rose, elle décida de mordre dans sa crêpe pour éloigner son trouble. Elle était surement encore perturbée par l’allusion que la cavalière avait faite plus tôt à propos de leur sortie. Aiko était une vraie gamine, il était temps qu’elle grandisse un peu, sinon elle allait avoir du mal à devenir une adulte accomplie.

Heureusement, Sara porta également son intérêt sur sa crêpe. La Japonaise eut un léger rire, elle était amusée de la réaction de sa camarade et de son air ravi. Elle demanda au marchand de lui donner quelque serviette en papier, le remercia et en tendit une à Sara.

« Tiens, ça pourrait-être utile si tu ne veux pas avoir le visage recouvert de crème fouetter. »

Elle lui fit un clin d’œil et prit une nouvelle bouchée de sa crêpe, en veillant à ne pas étaler son contenu sur son visage, comme le faisait l’Allemande. Elle avait une réputation à tenir tout de même.
Aiko releva un sourcil interloqué en entendant Sara répondre à sa requête. Elle ne s’était pas attendue à ce qu’elle lui réponde en Allemand et n’avait pas l’habitude d’entendre cette langue. Ses yeux se mirent à briller d’admiration. Ils brillèrent encore plus de joie en entendant la traduction. Elle avait hâte d’en savoir plus sur ce dialecte si particulier. La voix de la cavalière sonnait différemment quand elle s’exprimait dans sa langue maternelle, c’était assez impressionnant. Elle la remercia d’accepter, un sourire étirant toujours ses lèvres.

Elle ne s’était cependant pas attendue à ce que la demoiselle lui propose de lui donner un surnom. D’où lui venait soudainement cette idée ? Aiko était loin d’être douée pour ce genre de chose. Le seul surnom qu’elle ait attribué dans sa vie, avait été celui qu’elle donnait à Kiralee. Et autant dire qu’à la base, elle ne l’avait pas fait avec de bonnes attentions. Elle n’en avait même jamais donné à ses propres sœurs, c’était dire. Elle avait tendance à user des diminutifs, mais difficile de raccourcir un nom déjà court comme celui de Sara.

« Je ne suis pas vraiment douée pour donner des surnoms, alors il vaut mieux que je m’en tienne à Sara je pense. Sinon, ça risque d’être ridicule. »

« Tu as autant de chance de réussir sans à avoir à te faire humilier. Écoute, je comprends que de ton point de vue ce ne soit pas évident, mais on ne peut pas tolérer cela. Tu es peut-être assez forte pour passer outre et continuer malgré tout, mais ce n’est surement pas le cas pour tes camarades. Il y en a peut-être certaines qui vivent un enfer et qui doivent penser qu’elles n’ont pas leur place dans ce domaine et ça, c’est inadmissible. C’est du harcèlement ce qu’elle fait et ça peut aller très loin. »

Non, elle ne pouvait pas fermer les yeux là-dessus. Si Sara ne pouvait rien faire à cause de potentielles représailles et bien elle s’en occuperait elle-même. Elle irait parler à la directrice pour connaitre son point de vue et trouver une solution avec elle. La colère s’était emparée d’elle et elle la sentait pulser dans ses veines. Il fallait qu’elle se calme, elle ne voulait pas gâcher cette journée. Elle repensa à ses cours de méditation, que Natsuki lui avait envoyées. Elle posa ses mains à plat sur son ventre, ferma un instant les yeux, pris une grande inspiration par le nez et expira par la bouche. Elle répéta cela trois fois et sentit la tension en elle s’apaiser. Elle rouvrit les yeux et sourit à Sara. Ce n’était absolument pas contre elle que sa colère était dirigée, mais elle ne voulait pas l’inquiéter avec cela.

« Je vais tenter de trouver une solution. »

Elle n’ajouta rien de plus. Elle se reconcentra sur sa mission actuelle et tenta de mettre de côté le sujet pour le moment. Elle y réfléchirait à tête reposée.

Le goût sucré de la crêpe acheva d’éloigner son trouble. Elle leva un sourcil et en sentant de la crème se poser sur sa joue. Et voilà ce que lui apportait la galanterie. Elle se faisait attaquer ainsi sournoisement. Sara ne savait pas dans quoi elle venait de s’embarquer. Aiko est rancunière et attendrait la bonne occasion pour se venger. En attendant, elle se contenta d’essuyer son visage, un air amusé étirant ses traits en entendant le rire extraverti de son amie.

« Merci de te préoccuper de l’hydratation de ma peau Sara-chan. Il va falloir que je pense à te retourner l’attention. »

Elle lui lança un regard de défi et resta énigmatique. Elle espérait que la cavalière se mettrait à redouter sa vengeance. Cela marchait bien avec ses sœurs et suffisait généralement à Aiko qui se délectait de voir le doute et la crainte dans leurs yeux.

L’athlète pencha la tête sur le côté en voyant Sara hausser les épaules et mordre dans sa crêpe. Aiko eut un nouveau sourire amusé et décida de taquiner l’Allemande.

« Oh, tu es déçue ? Si tu tiens tant à avoir un surnom, alors en voici un pour toi, Adana-chan ! (あだ名) »

Elle ne savait pas si Sara savait ce que cela voulait dire, mais Aiko se trouva particulièrement drôle. Elle tenta de ne rien laisser paraitre et mordit à son tour dans sa crêpe avant de se remettre en marche. Elles passèrent devant plusieurs restaurants exotiques, la Japonaise en connaissait certains, mais elle se rendait compte que rare était les fois où elle mangeait autre chose que des plats de son pays.

« Humm. Je n’ai jamais entendu parler d’un restaurant allemand. Qu’est-ce que vous mangez chez toi ? Est-ce que tu es bonne cuisinière ? »

Aiko était curieuse d’en apprendre plus sur le pays natal de Sara. Peut-être pourrait -elle essayer de faire des recettes allemandes pour son amie. Cela pourrait lui faire plaisir. Elle prit une note mentale.

« On pourrait aller au restaurant pour diner. Ou je pourrais moi-même te cuisiner quelque chose si tu veux. »

Elle n’avait pas envie que leur sortie s’arrête trop vite. Bien qu’elle ne fît que commencer. Les deux jeunes femmes continuèrent de déambuler dans les rues. S’arrêtant pour contempler certaines vitrines. Aiko avait terminé sa crêpe et jeta le papier quand ses yeux se posèrent sur une enseigne. Son visage s’illumina et elle attrapa Sara par le bras avant de l’attirer contre elle. Elle pointa le bâtiment du doigt. Il s’agissait de la salle d’arcade. Cela faisait une éternité qu’elle n’avait pas mis les pieds dans ce genre d’endroit. Plus jeunes, elle et Natsuki y allaient souvent avec leur amie d’enfance. Aiko avait l’esprit de compétition et adorait défier sa sœur et son amie dans toute sorte de jouer.

« Pitié Sara, dis-moi que tu aimes jouer ! »

Ses yeux brillaient d’engouement, elle avait vraiment envie de rentrer et voir qu’elles merveilles se trouvait à l’intérieur. Mais si ce n’était pas le truc de Sara, elle y trainerait Natsuki de force un autre jour.

Aiko fut rassuré de constater que Sara souhaitait finalement intervenir aussi. Elle était contente de voir que son amie changeait d’avis et comprenait aussi l’injustice qu’elle subissait. Elle avait bien compris que la cavalière était du genre solitaire et prête à braver n’importe quelle tempête pour atteindre ses objectifs. Mais Aiko ne pouvait accepter que quiconque ait à se faire humilier de la sorte. Et elle osait encore moins imaginer son amie se faire humilier. C’est ce qui la révoltait par-dessus tout.
Le sujet était clos pour le moment et Aiko retrouva sa sérénité habituelle.

« Je ne te dirais rien. Considère cela comme ton prochain exercice, tu dois trouver la signification de ce mot. »

Elle avait hâte de voir la réaction de la cavalière quand cette dernière aura trouvé la traduction. Aiko du se faire violence pour ne pas laisser paraitre son amusement. Elle voulait n’éveiller aucun soupçon.

« Faisons ça alors ! On pourrait cuisiner dans la salle du club de pâtisserie, ils ont tout ce qu’il faut là-bas. Il faudra juste qu’on aille à l’épicerie acheter nos ingrédients. »

Aiko ne vouait pas de culte particulier à la nourriture. Mais elle adorait cuisiner. Elle pouvait passer des heures en cuisine à faire des dizaines de recettes. Cela lui manquait beaucoup de ne plus cuisiner pour ses sœurs. Aujourd’hui, c’était rare qu’elle se mette aux fourneaux, elle allait manger au réfectoire, comme tout le monde.

Sara accepta son invitation à entrer dans la salle d’arcade, pour le plus grand bonheur d’Aiko. Les heures qui suivirent furent remplies de rire et d’amusement. Aiko avait trouvé une adversaire redoutable et chacun de leur affrontement était serré. Il y avait bien longtemps qu’Aiko n’avait pas autant ri. Elle en avait les larmes aux yeux et mal au ventre à force d’être crampée. Cela était dû à la fois aux faits de jouer et que des situations rocambolesques arrivaient à leur personnage, mais aussi à l’humour cinglant de Sara qui avait toujours un commentaire bien placé ou de fausses provocations envers Aiko.

Après leurs nombreux affrontements, elles décidèrent de prendre une pause. Aiko paya deux boissons dans un distributeur et tandis celle que Sara lui avait demandée. Pour sa part, elle avait simplement pris une bouteille d’eau aromatisée au citron. Elle se laissa tomber assise sur un banc et appuya sa tête contre le mur en arrière d’elle. Elle aussi était légèrement essoufflée, ses cheveux étaient en pagaye et légèrement humide, même son visage était rouge à cause de la température élevée de son corps.

« J’avoue que tu m’as surpris aussi Adana-chan ! Je ne pensais pas que tu serais si difficile à vaincre. Je venais souvent quand j’étais plus jeune. Avec Natsuki et une amie. On n’habitait pas très loin d’ici avant qu’on ne déménage pour la grande ville. Ça faisait vraiment longtemps que je n’étais pas venue. Je suis vraiment contente que tu m’aies accompagnée, merci. »

La tête toujours appuyée contre le mur, elle plongea son regard dans celui de la cavalière et ses lèvres s’étirèrent en un léger sourire. Elles avaient fait match nul finalement, Aiko espérait avoir un jour la chance de prendre sa revanche. Ses yeux maintinrent encore un instant le regard doré de Sara. L’athlète n’avait pas envie que cette journée se termine. Elle s’amusait beaucoup et avait l’impression d’avoir repris son souffle après être restée trop longtemps en apnée. Il y avait bien longtemps qu’elle ne s’était pas sentie autant en vie.

Elle détourna le regard et porta sa bouteille à ses lèvres pour en prendre trois bonnes gorgées. Elle revissa ensuite le bouchon sur le goulot et ferma un instant les yeux. Son cœur reprenait peu à peu son rythme après avoir été affolé par l’adrénaline et l’excitation des jeux. Après quelques secondes elle rouvrit les yeux et ils trouvèrent naturellement les pupilles de l’Allemande.

« Est-ce qu’il te reste encore de l’énergie ? Ya un dernier jeu que j’aimerais faire avant de partir. Aimes-tu danser ?»

Le visage d’Aiko rayonna à nouveau lorsque son amie accepta de la suivre pour un dernier tour de piste. De danse cette fois-ci. Aiko avait bien envie de se défouler un peu sur le jeu dance dance révolution. Elle était un peu rouillée, mais voulais simplement s’amuser encore un peu avec l’Allemande. Avant de commencer, Aiko retira son sweat à capuche jaune, pour se retrouver en t-shirt blanc sur lequel figurait un Onigiri riant aux éclats. Un cadeau que sa sœur lui avait fait plusieurs années auparavant. Il était trop grand à l’époque « comme ça tu vas pouvoir le porter plus longtemps ».
Aujourd’hui, il était juste assez ample pour qu’elle puisse bouger avec aisance.

« Je suis loin d’être une pro non plus. Mais sans vouloir me vanter, je suis réputée pour ma danse de la pieuvre. »

Danse qui consistait à faire des vagues avec ses bras en les remuant de façon complètement ridicule. Elle rentra son collier avec le pendentif soleil dans son t-shirt, pour ne pas qui lui revole dans le visage et attacha ses cheveux en queue de cheval.

« Je suis prête Adana-chan, montre-moi ce que tu as dans le ventre ! »

La musique commença et une nouvelle fois les deux amies se retrouvèrent dans leur bulle à rire aux éclats à chaque proposition de mouvements de danse plus ridicules les uns que les autres. Elles tournoyaient sur la piste fléchée, tenant le rythme malgré tout et inversant leur position de temps en temps. La musique toucha à sa fin et pour la dernière note, Aiko glissa un bras dans le dos de Sara et la fit doucement basculer en arrière en la retenant dans une position finale digne des grands tangos version low cost. Elle lui fit un sourire rayonnant avant de l’aider à se redresser. Elle garda un instant son bras dans le dos de la cavalière avec qui elle échangea un regard complice, avant de se retirer en douceur et à son tour enlever la sueur de son front.

« Merci à toi de m’y avoir suivi ! C’était vraiment amusant. »

Elle détacha ses cheveux et passa une main dedans pour les remettre en place. Son sourire ne la quitta pas et après avoir remis son pull et sa veste, elle se laissa entrainer par Sara à l’extérieur de la salle d’arcade. Sentant les doigts de l’Allemande s’entrelacer aux siens, Aiko sentit une légère décharge qui fit manquer un battement à son cœur, mais lui apporta également une sensation agréable. Elle serra doucement cette main se tenant dans la sienne et suivit son amie jusqu’au stand de brochette. L’air frais lui fit du bien et l’odeur de nourriture activa son estomac qui manifesta doucement sa faim.

« Bonne idée, tous ces exercices m’ont ouvert l’appétit ! »

Aiko parcourra rapidement des yeux le choix des brochettes et se décida après une légère hésitation entre deux sortes.

« Je vais prendre celles au porc. »

La main de Sara la quitta et Aiko serra doucement la sienne avant de la glisser dans la poche de sa veste, le temps que leur brochette leur soit servie. Elle récupéra ensuite sa part et suivit une nouvelle fois la cavalière jusqu’à une table.

Une fois installée, Aiko remercia son amie et lui souhaita bon appétit avant de mordre dans sa première brochette. Elle s’assura de manger avec délicatesse pour ne pas s’en mettre partout. La cuisson et l’assaisonnement de la viande étaient parfaits. Ses papilles étaient ravies. Elle releva le regard et croisa celui de son amie qui semblait l’observer silencieusement. Aiko releva un sourcil.

« J’ai quelque chose sur le visage ? »

Ses yeux étaient rieurs, elle voulait simplement taquiner l’Allemande. Elle lui tendit ensuite sa brochette.

« Tiens, goûte, c’est délicieux. »

Aiko lui fit un sourire doux. Tentant de ne rien laisser paraitre. Elle espérait que Sara accepte sa proposition pour obtenir sa vengeance. Au moment où elle serait suffisamment proche, Aiko comptait faire dévier la trajectoire de la brochette pour lui mettre de la sauce sur le bout du nez.