Petite maladresse et grand embarras - Ana Cortèz

«Je.suis.en.retard. »

Kuzurio avait foiré. Dès le début de la journée. Elle avait cru bon que se reposer dans les toilettes et sur leur cuvette serait une bonne idée pour se remettre de ses cours qu’elle avait affreusement détestés. Pour refaire le plein d’énergie le temps de la pause, elle s’était persuadée que faire un petit somme en ne dormant que d’un œil était une idée honorable qui lui sauverait la mise pour le prochain cours qu’elle redoutait fortement et craignait d’y succomber pour hanter ces lieux jusqu’à la fin des temps. Toutefois, il fallait reconnaître que l’existence était une sacrée enquiquineuse. Elle avait trompé la confiance que cette dernière lui avait pourtant donné pour se jouer d’elle et la faire dormir jusqu’à ce qu’il ne lui reste plus que quelques dizaines de minutes pour rejoindre la salle de classe. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’elle le découvrit et les incroyables mots doux bien qu’aigres qu’elle cracha à l’encontre de la vie.

Ni une ni deux, Kuzurio avait sauté de la cuvette et avait ouvert la porte en trombe non sans faire fi des demoiselles qui venaient d’entrer et observaient son pied avec insistance. Bondissant comme un chat qui tentait d’échapper au vétérinaire, elle tentât de se repérer bien que la précipitation tendait à un intensifier son mauvais sens de l’orientation. Néanmoins, elle parvint à se retrouver et dégringola les escaliers comme le ferait ces adorables personnages de dessin animé. Elle y était presque ! Presque, mais pas arrivée et elle comprit très vite qu’il lui faudrait plus que se presser pour atteindre la destination tant convoitée. A peine avait-elle baissé les yeux pour regarder sa montre qu’elle percuta de plein fouet quelque chose qui s’avéra humain et manqua de tomber.

Pas de chance pour l’obstacle humanisé, le corps de Kuzurio était bien trop solide se permettre de s’écraser au sol et il fallait bien que quelqu’un tombe.  La voyant chanceler, Kuzurio l’avait saisi par le bras avec la douceur d’un géant pour la rattraper dans sa chute, ce qui la fit un brin tanguer. Mais si elle put un temps se féliciter de son entreprise, Kuzurio avait oublié son ennemi de taille : le papier toilette coincée sous sa chaussure et qui eut sans doute été le coup spécial de l’existence qui semblait s’acharner pour lui causer bien du malheur. Ainsi, à force de  glisser, Kuzurio manqua de tomber à son tour et lâcha par inadvertance la demoiselle qu’elle avait pourtant rattrapée. Après s’être stabilisée à l’aide du mur à ses côtés, elle serra les dents en la voyant s’écrouler dans un bruit sinistre et ferma un œil pour regarder la scène, mais pas trop. « Aïe. »

Pauvre demoiselle. Voilà qu’il lui avait fallu découvrir une Kuzurio sauvage et en furie dans les couloirs. Instinctivement, Kuzurio s’inclina brusquement pour s’excuser solennellement. Un peu trop même.

-Je te prie de m’excuser, ce n’était pas intentionnel.

Bien sûr que ça ne l’était pas et on le savait. Qui donc aurait intentionnellement mis du papier toilette sous sa chaussure au risque d’entendre des rires moqueurs et de manquer de les accentuer en glissant pour tomber la tête la première ? Pour un début de journée, c’était prometteur. Au moins elle aurait le club pour se défouler.

C’est qu’elle avait de l’humour, la demoiselle. Un humour que n’avait pas vu arriver Kuzurio qui se releva un petit peu pour l’épier puisqu’elle n’avait pas eu le temps de le faire, après qu’un « Hé ? » surpris lui ait traversé l’esprit. La première chose qu’elle vit fut ses cheveux qui auraient pu lui provoquer un haussement de sourcil si toute sa personne, en cet instant, n’était pas dans le contrôle. Original. Il était néanmoins certain que tant qu’elle vivrait sous le toit de ses parents, elle pourrait toujours aller se faire brosser pour teindre ses cheveux. Quelle chanceuse.

Si elle avait penché un instant la tête pour étudier un peu mieux la fille, il sembla qu’elle bloqua un moment lorsqu’Ana parlait de son corps. Il ne lui fallut que très peu de temps pour pouffer de rire malgré elle, compte tenu des propos qui auraient scandalisé plus d’un dans sa famille. Toussant pour éviter de le laisser retentir, Kuzurio était parvenue à se calmer avec un effort vénérable. Lorsqu’Ana lui tendit la main, elle s’interrogea un instant avant de se rappeler qu’elle n’était très certainement pas née ici. Quoique le climat très rigoriste dans lequel elle avait été éduqué, lui aurait intimé l’ordre de ne pas le faire, Kuzurio put se prétendre assez tolérante pour venir lui serrer la main avec une certaine poigne peu délicate, du Kuzurio tout craché.

-Même s'il faut reconnaître que tu es très jolie Ana, je ne pense pas avoir le temps nécessaire pour affiner mes techniques de séduction corporelle. On en discutera une prochaine fois, si tu le veux bien.

En disant cela, Kuzurio avait troqué sa voix grave pour une voix plus suave qui lui survenait parfois lorsque mademoiselle usait de malice ou d’espièglerie. Loin d’elle l’idée de rougir à une telle remarque ou de ne pas répondre à une telle affirmation. Ana avait commencé, et c’est elle qui terminerait. Lâchant finalement sa main, elle hocha la tête en se ressassant les paroles antérieures de sa congénère.

-Moi, c’est Kuzurio et je suis effectivement nouvelle. De toute manière, je pense que je n’ai pas besoin de le dire. La situation parle d’elle-même.

Elle jeta brièvement un coup d’œil sceptique à sa chaussure et retint le râle qui menaçait de s’échapper de sa gorge, alors qu’elle essayait d’enlever le papier toilette, à l’aide de son autre pied, comprenant en fin de compte pourquoi les demoiselles riaient, pareillement pour Ana sans qu’elle ne l’ait mal pris. L’auto dérision, Kuzurio l’appréciait et n’y dérogerait très certainement pas à l’heure actuelle. Après quoi, elle s’était grattée la tête en songeant à la situation dérangeante qui aurait pu se passer si ce n’était pas Ana, mais bien la directrice qu’elle aurait renversé. Tout d’un coup, elle se sentait bien ennuyée.

-Heureusement que je suis tombée sur toi oui, cela m’aurait évité de plaider en ma faveur, mais ne t’en fait pas, j’ai tout plein d’excuses déjà faite en cas de situations désastreuses. Et puis je pense qu’une élève studieuse et déboussolée qui ne trouve pas sa classe, c’est attendrissant alors je ne m’en soucis pas. Avait-elle répondu en haussant les épaules avec désinvolture. Une désinvolture qui lui passa très rapidement alors qu’elle levait son poignet pour regarder sa montre. Kuzurio grimaça un instant et s’adressa de nouveau Ana, une mine se voulant penaude, scotchée à la figure.

-Puisque tu à l'air être ma sauveuse de la journée Ana, est-ce que tu pourrais me sauver encore en m’aidant à trouver cette salle ?

Sortant sans attendre son calepin où elle notait toutes les portes des salles qu’elle occuperait dans la semaine, elle tend finalement à Ana qui connaîtrait sûrement mieux les environs et à coup sûr, connaîtrait le chemin pour sa destination tant désirée.