On commence avec un petit cours de littérature, puis... {feat. Ruby}

Je posai mon sac en bandoulière sur le bureau, rangeant vivement mon porte-cigarette, je venais d'aller fumer mais j'avais soufflé le plus possible pour ne pas sentir la cigarette, ou du moins, le moins possible.

Je sortis un stylo télescopique pour ouvrir le tableau et montrer diverses phrases.

Les serpents sifflant et glissant sur le sol sous un soleil.

J'ai fait une couture, faite de lin et d'amour.

Je ne veux dénoncer personne mais Elizabeth était là.

Le ciel est triste aujourd'hui.

« Bien, qui ici, peut me dire les figures de style utilisées. Une par phrase, bien sûr, toutes différentes, et bonus si vous me donnez la raison de cette figure de style dans cette situation. »

Je regardai la classe en gardant mon stylo télescopique dans ma main.

« Il n'y a aucune mauvaise réponse, on apprend tous ici. À la moindre moquerie, une punition ira de pair. »

Je voyais tout de suite venir les regards pour dire "Si tu dis une bêtise, je ne te raterai pas". Mais je n'allais pas rater cette personne, ou ces personnes -malheureusement-.

Mon regard fatigué chercha dans la classe la moindre envie. J'étais sérieuse, je ne me moquerai pas. J'avais bien dû apprendre aussi, c'était à mon tour de leur enseigner mon savoir...

Des regards, des discussions indiscrètes entre eux, voilà quelque chose qui changeait par rapport à avant. Plus nous allions de l'avant, plus les élèves avaient peur de parler ou d'essayer car les moqueries tombaient à foison. J'avais horreur de ça, moi-même j'apprenais des choses encore aujourd'hui.

Je remarquai une jeune femme à l'allure désinvolte, timide mais elle essayait de prononcer une phrase, et à la manière des mouvements de lèvres et d'une logique syntaxique, elle tentait de la répéter pour s'entraîner, un peu "Les chaussettes de l'archiduchesse sont-elles sèches ? Archi-sèches ?" ou avec le chasseur.

« Bon, je vais commencer. La première est simple et plus ou moins connue, une allitération en "s", le son étant répété pour appuyer le bruit naturel de ces reptiles. Et on pourrait presque rajouter le ridicule et/ou l'exagération du son "s" qui est en très voire trop grand nombre.  »

Je tapotai ensuite la seconde phrase.

« Zeugma, un exemple très souvent utilisé, surtout avec "amour" et une matière ou quelque de ce type. Nous pouvons appeler cela un zeugme ou attelage, les trois termes sont corrects. L'utilisation se fait pour qualifier un mot avec deux termes disparates qui n'ont pas le même rapport. Par exemple, ici, le lin est un tissu concret que vous connaissez et pouvez toucher, tandis que l'amour est une idée abstraite. Nous avons donc un plan concret et un plan abstrait qui se superposent. L'utilisation du zeugme sur notre exemple appuie sur le fait que la couture a été faite avec une raison sentimentale, sinon on aurait dit "C'est juste fait de lin". Si on veut s'amuser à argumenter un peu plus, on peut dire que la raison sentimentale n'est pas aussi forte que si "amour" avait été placé en premier ; ici, lin a été mis en premier puis amour. Mais c'est une autre histoire. »

Je toussotai légèrement avant de tapoter la troisième phrase.

« Je vous ai aidé sur les deux premières, j'aimerais une réelle intervention que je ne mâche pas tout. Encore une fois, aucune réponse n'est fausse, nous sommes là pour apprendre, celui qui lève la main a plus de courage que les autres. Petit bonus, je donne des points bonus pour le prochain contrôle. Néanmoins, la règle sur la moquerie ne change pas. Alors ? »

Mon regard alla sur cette élève qui avait pris des notes, je sentais un fort potentiel.

La jeune élève se dévoua, juste avant, je levai mon arme de professeure pour faire taire les chuchotements. Je n'eus pas de réaction particulière à sa brume de mots. Elle devait avoir un problème, on dirait presque que... sa langue n'était plus dedans, et cela me fit légèrement mal au cœur. Je n'allais pas demander, dans tous les cas.

« Jolie tentative. La troisième, je comprends ton point de vue mais ce n'est pas cela. Pour la quatrième, comme tu dis, c'est plus compliqué. »

Je pointai du doigt un rire d'une élève qui regardait Ruby, pas la peine d'avoir fait énormément d'études pour comprendre qu'elle se moquait.

« Ma sanction est sans appel, vous me ferez cinq figures de style différentes d'aujourd'hui avec explication et un exemple à expliquer. »

« Mais mad- »

« Pas de second appel. Donc, quelqu'un d'autre qui veut essayer ? Vous voyez bien qu'il n'y a aucune moquerie. »

Dis-je durement mais seulement des murmures, j'étais une militaire ou... ?

« Bon. »

Soupirai-je avant de tapoter la troisième phrase.

« Ceci est le fait de parler de quelque chose alors qu'on dit que nous n'allons pas en parler. C'est donc une prétérition. J'ai mis l'exemple que nous avons tous fait au moins une fois, si ce n'est beaucoup de fois. Dans cette phrase, le but est qu'on veut punir cette Elizabeth. Quant à la quatrième phrase, j'applaudis Ruby et elle aura un point supplémentaire pour être la seule à avoir participer, et un autre point car ses idées ne sont pas bêtes ; j'accepte la périphrase, nous connaissons tous de célèbres périphrases comme le roi de la jungle pour le lien, les forces de l'ordre pour la police, les combattants du feu pour les pompiers et j'en passe. Dans un certain contexte précis, ça peut être accepté. La personnification est aussi une bonne idée car c'est tout à fait possible car nous donnons un sentiment humain au ciel qui n'a rien de vivant. Si le nom et l'adjectif étaient collés, nous appellerions cela un hypallage. »

Je ricanai légèrement en applaudissant.

« Avez-vous une quelconque question ? »

Elle vint faire une grimace, oui elle s'était trompée, mais elle ne devait pas vraiment être loin de la véritée...si ? Son regard perçant tournant sur le ricanement de cette élève dans son dos, ses deux prunelles retombèrent sur la professeur qui était entrain de donner une sanction. Donc, il n'y avait vraiment pas de "plaisanterie" dans le cours...en soit ce n'était ps plus mal, si la demoiselle voulait conserver ses chevilles ou l'intégralité de ses doigts à la fin du cours, car il était évident que Ruby n'allait pas oublier son visage tout de suite. Elle laissait passer pour cette fois vue qu'Alyssa avait déjà sévit, mais la prochaine fois, elle ferait passer le message elle même pour que les choses soient plus clair et bien ancré dans les esprits.

Une prétérition ? ...elle n'avait guère retenue se terme, arquant un sourcil elle vint commencer à le noter sur sa feuille, c'était donc le fait de parler de quelque chose en disant que l'on ne voulait pas en parler...il y avait donc une figure de style directement pour ça...et non pas comme une antiphrase où là on avait tendance à dire l'inverse de ce que l'on pouvait penser comme "C'est malin" pour quelque chose d'idiot...d'accord

Pour la quatrième phrase elle eu un peu de mal à comprendre ce qu'elle souhaitait appeler un Hypallage, il allait falloir qu'elle se documente dessus, car là, cela ne lui disait encore une fois rien du tout, ou du moins, elle n'arrivait pas à définir quel était le principe ou la définition même de l'hypallage. Puis relevant la tête, elle avait bien une question en tête.

-'es "igure 'e ....

Pourquoi "style" était un mot si compliqué à dire ? Elle soupira longuement et ne chercha finalement pas à le prononcer en continuant simplement comme elle le pouvait.

-I' y a 'es 'igure 'ans 'ou'es 'es 'angues ?

Après tout la demoiselle en connaissait quelques unes en anglais, mais elle ne savait pas si on pouvait retrouver les mêmes en japonais, ou si les japonais avaient leurs propres figures de styles, tout comme les russes ou les italiens...et elle savait aussi que dans certaines langues ou certains pays...ce que l'on pourrait prendre nous...pour une figure de style, était pour eux la simple manière d'appeler les choses.

Je me tournai vers la même jeune femme. Elle était très courageuse, sans aucun doute. Peu oseraient parler ainsi, malheureusement, pas de favoritisme même si elle avait gagné une immense admiration.

« Bonne question. »

Je rétractai mon stylo télescopique pour le mettre dans ma poche.

« Dans toutes les langues, il y a des incontournables. L'allitération, l’assonance, l'antithèse, comparaison, et je vais en passer certains, quasiment toutes les langues les ont. Les français restent encore et toujours un des pays avec le plus de figures de style, qu'importe de la manière dont vous allez vous exprimer, il y aura certainement une figure de style. Chez nous, les japonais, chaque phrase, selon le type d'écriture, donc katakana, hiragana ou kanji, nous pouvons donner un style différent et une définition différente donc nous en avons beaucoup mais ça se verra davantage à l'écrit qu'à l'oral. Chez les anglais, pour parler d'une des langues internationales, ils en ont beaucoup moins, une quinzaine même pas. C'est beaucoup, certes, mais comparé aux français ou nous-mêmes, ce n'est rien. Et je passe les autres langues, certaines ne vont pas trouver logique de mettre telle phrase en figure de style, d'autres en rassemblent d'autres, etc... tout dépend de la langue utilisée. En espérant bien y répondre. »

Je souris en entendant la sonnerie, je pointai la jeune élève radieuse.

« Pourrais-tu rester, j'aimerais discuter avec toi. »

Je vins m'installer à mon bureau. Les cigarettes m'appelaient mais nous allions faire ça plus tard.

« L'histoire des points, dans un premier temps, est réelle. Si j'ai oublié, rappelle-le-moi sur ta prochaine copie. Ensuite, je te félicite personnellement, prendre la parole n'est pas facile et tu peux avoir la vantardise d'avoir été la seule à parler, de manière utile. »

Car la moquerie n'était pas une prise de parole concrète et justifiée.

« J'entends cela mais je connais des personnes qui préféreraient se taire que de parler, sauf cas exceptionnels. Continue comme ça, tu es promise à de grandes choses. »

J'eus un léger sourire en rassemblant mes affaires. Braver ses résistances, et je devenais le cliché du professeur qui soutenait ses élèves en les complimentant au maximum. J'avais un bon feeling avec cette petite.

« Bien, tu comptes sortir en ville ? »

Qu'étais-je en train de raconter encore ? Je frottai mes yeux en bâillant légèrement. Je n'aurais pas dû finir cette série cette nuit, j'avais qu'une heure de sommeil, raaaah...

« Je compte faire quelques achats, donc si tu veux, je te dépose, ça t'évite les transports. Et non, ça ne me dérange pas. Ça fait glauque en fait, en y réfléchissant... Tu as le droit de refuser. »

Je soupirai encore en mettant mon sac autour de moi en bandoulière. C'était très étrange comme demande, mais bon, elle était là, pas d'autres élèves en vue, bon, autant tenter et être altruiste.

Je hochai la tête. Un tel handicap et elle parlait fièrement. Le terme était trop fort par rapport à la situation mais comme je l'avais dit ; ceux qui avaient plein usage de leur voix et leur parole ne parlaient pas, alors elle avait tous les mérites.

Je sortis un porte-cigarette de ma poche, bien sûr armé mais pas allumé, pour faire du penspinning pendant qu'elle écrivait son message.

« Pas de problème. Suis-moi. La fumée de cigarette te dérange ? Sinon je fumerai un autre temps. »

Selon sa réponse, je rangerais ma drogue ou non. J'allai sur le parking pour faire sonner mon véhicule à distance avec la clé, je m'installai, j'attendis qu'elle fît de même et je partis alors en ville, fumant si j'avais pu.

« Ruby, qu'aimerais-tu faire plus tard ? »

Demandai-je alors, telle une professeure concernée. Ironiquement, en temps normal, je m'en moquerais mais je ne restais pas moins une professeure et l'intérêt de mes élèves était aussi le mien.

M'arrêtant à un feu rouge, j'eus un léger soupir d'exaspération. Risquais-je mon travail d'avoir emmené une élève ? Il n'y avait rien de méchant, aucune pensée diverse, aucun sous-entendu ; juste une aide sincère. J'aurais aimé être aidée si j'étais dans cette situation.